Emilie Grégoire
Fondatrice du cabinet iTer AGIR, accompagnatrice, formatrice, superviseure des professionnels de l’accompagnement, France
emilie@iter-agir.fr
Résumé
À la suite d’un article publié en 2014 dans la revue et portant sur le cadre en analyse de pratiques, l’auteure revient sur les continuités et les évolutions de sa pratique et de ses représentations durant les dix années écoulées. Elle partage une vision humaniste du travail d’accompagnement réflexif et aborde les notions de non-jugement, d’émotion, de posture relationnelle, de regard positif inconditionnel, d’acceptation, de congruence. La notion d’acceptation de soi y est présentée à la fois comme un processus évolutif, un moyen de favoriser le travail réflexif et comme une finalité pour nourrir sa construction identitaire et son émancipation.
Mots-clés
accompagnement réflexif, acceptation, posture, amour de soi
Catégorie d’article
Témoignage ; interview – échange
Référencement
Grégoire, E. (2024). Analyse réflexive et acceptation de soi. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 25, 84-92. https://www.analysedepratique.org/?p=5761.
Article de en PDF Commentaires
Reflective analysis and self-acceptance
Abstract
Following an article published in the magazine in 2014 on the framework in practice analysis, the author looks back at the continuities and changes in her practice and representations over the past ten years. She shares a humanist vision of the work of reflective support and addresses the notions of non-judgement, emotion, relational posture, unconditional positive regard, acceptance and congruence. The notion of self-acceptance is presented as an evolutionary process, a means of encouraging reflective work and as a means of nurturing identity-building and emancipation.
Keywords
reflective support, acceptance, posture, self-love
Análise reflexiva e autoaceitação
Resumo
Na sequência de um artigo publicado na revista em 2014 sobre a estrutura na análise da prática, a autora faz uma retrospectiva das continuidades e mudanças em sua prática e representações nos últimos dez anos. Ela compartilha uma visão humanista do trabalho de apoio reflexivo e aborda as noções de não julgamento, emoção, postura relacional, consideração positiva incondicional, aceitação e congruência. A noção de autoaceitação é apresentada como um processo evolutivo, um meio de incentivar o trabalho reflexivo e como um meio de nutrir a construção de identidade e a emancipação.
Palavras-chave
apoio reflexivo, aceitação, postura, amor-próprio
Cette interview d’une durée d’une vingtaine de minutes a été retranscrite intégralement afin de conserver le caractère de témoignage partagé.
Dans la retranscription ci-après, les questions de l’intervieweur apparaissent en italique et les réponses de la personne interviewée figurent en caractère normal.
Marc Thiébaud :
J’avais envie, Emilie, de te demander une contribution pour ce numéro « anniversaire » entre autres parce que tu as écrit un article en 2014 qui a été beaucoup lu. Il m’avait touché par ta précision dans la manière dont tu mets en place les conditions pour qu’une analyse de pratique en groupe puisse se faire. Tu parlais aussi un peu de ta vision, de ton approche. Ce qui va nous intéresser pour cet entretien, c’est ton parcours sur ces dix ans. Je ne sais pas si cet article publié en 2014 représentait un point de départ ou si c’était déjà un point intermédiaire dans ton parcours… Que ça soit dix ou quinze ans, peux-tu nous dire ce qui pour toi reste important quand tu fais un travail d’accompagnement et d’analyse de pratiques avec des personnes, et comment des choses ont changé ou ont évolué pour toi durant cette période ?
Émilie Grégoire :
A l’époque, la question du cadre m’interpellait et était importante pour moi. Pourquoi ? Parce que ce qui m’animait – et qui m’anime toujours – c’est comment permettre une liberté, dans le groupe et individuellement et, en conséquence, comment sécuriser cet espace, comment instaurer la relation de confiance. Il y avait vraiment cette envie très forte à ce moment-là chez moi de comprendre, de réfléchir, de mettre en œuvre ce que je considère nécessaire pour faciliter cette autorisation, cette liberté d’être en toute sécurité. Alors oui, écrire ce texte sur le cadre représente une sorte de pierre fondatrice. Je crois aussi que ce qui m’habitait dans ce désir d’écrire sur ce sujet, c’était – et c’est toujours le cas – une vraie réflexion sur les mécanismes de défense : observer, lorsque dans un accompagnement individuel ou dans un groupe, quelque chose peut se figer et comment on peut instaurer une véritable relation de confiance. Je souris car aujourd’hui, je n’écrirais plus de texte sur le cadre. Les fondements sont là, intégrés à l’intérieur de moi. Par contre, ça ne m’étonne pas que ce texte soit beaucoup lu, parce que je crois que ça vient chercher quelque chose en nous. Le cadre, c’est confrontant.
En même temps, il y avait l’approche humaniste qui t’anime, qui était présente dans ce texte, du début à la fin…
Oui, et qui est toujours très fortement présente en moi. Si je devais réécrire quelque chose pour la revue aujourd’hui – parce qu’à mes yeux, écrire c’est se connecter à ce qui nous anime – ça serait sur la place de cet accueil bienveillant de l’autre, du regard positif inconditionnel, dans la relation d’accompagnement (Rogers, 1996, 2013). Je suis toujours émerveillée de voir comment le processus de changement d’un individu s’opère. Et pour moi, cela passe par le non-jugement, l’accueil inconditionnel de l’autre, l’acceptation. Je suis toujours émerveillée de voir sous mes yeux que, lorsque je suis sincèrement dans cette acceptation de l’autre, cette ouverture du cœur à l’autre, alors l’autre s’accepte de plus en plus. Et à partir du moment où il s’accepte, le processus de changement s’opère. Ça a quelque chose de touchant, de spectaculaire pour moi !
Donc, je suis fortement habitée par les notions de congruence, d’authenticité. Pour moi, l’accompagnement, l’animation ne se réduit pas à des outils et des méthodes. Ça passe avant tout par cette intention à l’intérieur de soi. Et c’est quelque chose dont je prends soin et qui a à voir avec l’amour de soi. Selon Colette Portelance (2016), il y a un lien très fort entre l’accompagnement et la notion d’amour de soi. Au début, on va chercher des outils, des méthodes, des éléments concrets auxquels se rattacher, peut-être parfois pour se sécuriser. Aujourd’hui, ce qui m’intéresse, c’est explorer ce qui va me faire grandir encore un peu plus dans ma posture d’accompagnante Et comment j’amène l’autre à s’accepter, pour pouvoir se transformer en se débarrassant, ou plutôt en limitant ses mécanismes de défense. Avec cette conscience que, par ma manière d’être, je peux activer ou diminuer les mécanismes de défense de mon interlocuteur. J’ai donc envie de prendre soin de ma posture de facilitatrice, de ma faculté à accueillir, à être dans le non-jugement. Est-ce que je suis vraiment dans le non-jugement, dans mon ressenti, et donc dans ma manière d’être, dans mon regard, mes mimiques, etc. ? Et c’est plus que du cadre, c’est autre chose : c’est développer des conditions qui vont faciliter la réflexivité sans résistance.
C’est fascinant, parce que je t’écoute et je me dis qu’il n’y a pas un seul animateur qui ne va pas parler du non-jugement. Mais ce que tu nous dis, c’est que c’est un travail au long cours.
Oui. Un travail d’acceptation de soi et d’accueil inconditionnel qui se construit sur des années et des années (Grégoire, 2019).
Est-ce que tu veux nous en dire plus ? Comment toi, ce chemin, tu l’as fait ? Et comment tu permets à d’autres de le faire ?
Oui, à mes yeux c’est un chemin en continu sur lequel je suis embarquée et engagée. C’est une construction perpétuelle. C’est un chemin sur lequel je suis et sur lequel j’accompagne, sur lequel je continue encore de grandir. Cette acceptation, c’est le sens de la vie de tout être humain pour moi. Excuse-moi, j’ai un peu perdu le fil de ta question…
Comment tu le fais ce chemin, et comment tu facilites le chemin de l’autre ? Tu dis que ce que tu veux offrir, c’est cette ouverture à se reconnaître pour permettre cette réflexivité et possiblement cette transformation. Qu’est-ce qui aide ce chemin ?
Le chemin ? Il y a tellement de chemins possibles ! Mais pour moi, le chemin, ça va être par des choses qui n’ont pas forcément à voir avec ce qu’on fait habituellement dans la réflexivité. Par exemple, il y a plusieurs années, j’ai découvert la pratique de la méditation. J’ai découvert ce qui me permet d’être en pleine conscience. Et d’ailleurs, il y beaucoup à dire entre la réflexivité et la pleine conscience. Comment nourrir la pleine conscience au quotidien permet aussi de faciliter le processus réflexif. Je suis également sur un chemin d’authenticité. Cultiver et être dans une présence authentique, ça veut dire aussi pouvoir aller regarder ses parts de vulnérabilité. C’est un travail que je fais tous les jours, que je peux faire dans mes relations : me connecter à moi, à l’autre, à la relation, prendre la responsabilité de mon émotion, laisser également à l’autre la responsabilité de son émotion. Donc, c’est mettre de la conscience dans ce qui est présent. Je veille à suivre moi-même des formations, à nourrir mon être au travers de stages de développement personnel, à pratiquer des rituels. Tout cela s’intègre dans mon être et je le remobilise dans les accompagnements, dans les analyses de pratiques, dans les espaces réflexifs. Le chemin est en cours. Il est encore en construction et il est cultivé, chaque jour.
J’imagine bien que ça ne s’arrête pas. Est-ce que tu as eu des moments sur ce chemin, sur ces dix ou quinze ans, des moments clés qui ont été tellement significatifs que ça t’a fait peut-être changer quelque chose, bifurquer…
Bien sûr, il y a des choses qui s’invitent à moi… Mais du coup, elles sont d’ordre plus personnel. J’ai vraiment l’impression d’avoir eu une sorte d’éveil de conscience très fort par rapport à des événements personnels et existentiels dans mon histoire, qui ont contribué à nourrir ma posture d’accompagnement. Ces évènements existentiels m’ont permis d’être encore plus en authenticité, en conscience, ce qui impacte toujours mon travail de facilitatrice. Il y a un moment de basculement dans mon existence et de prise de conscience qui m’amène à me demander sincèrement : mais est-ce que je m’aime vraiment ? Et quel impact cette question a dans mes relations et donc dans la relation d’accompagnement ? Ce n’est pas quelque chose qui va se travailler comme ça, vite fait, avec une formation d’une semaine. C’est vraiment un chemin pas à pas, mais qui peut être accéléré par des événements de vie. J’ai une chance incroyable d’avoir vécu une épreuve assez forte pour ouvrir cette voie d’acceptation et d’amour de soi. Ce chemin sur lequel je suis désormais engagée nourrit ma posture relationnelle en accompagnement, ma manière d’être en relation et c’est aussi ce que j’ai envie d’apporter à l’autre pour soutenir ses transformations, sa réflexivité, son émancipation. Aujourd’hui, j’ai appris à davantage m’accueillir dans toutes mes parts de vulnérabilité, dans mes parts d’ombre et de lumière, au quotidien, et je suis plus à même d’accueillir pleinement celles des autres. Et je ressens et je constate le processus vertueux de ce travail sur soi au service des autres.
Tu évoquais le fait que ça impacte ta manière de travailler professionnellement, ta manière d’accompagner et d’aider aussi cette réflexivité ou cette transformation chez les personnes avec lesquelles tu travailles. Est-ce que tu peux nous donner des exemples de la forme que ça peut prendre dans le travail, actuellement, par rapport à 2014 ? Par exemple dans le travail avec les émotions.
Je ne veux pas renier ce que je faisais en 2014, mais il y avait une forme de rigidité. Je souris de moi-même, et en même temps, avec beaucoup de tendresse. Je sens qu’aujourd’hui, il y a beaucoup plus de souplesse, de flexibilité…
La souplesse, elle va se manifester à quel niveau ?
Elle va se manifester dans la créativité. C’est une chose dont on a beaucoup parlé ensemble toi et moi et qui me tient à cœur. Je suis plus flexible dans ma créativité. Mais ça à voir aussi avec l’expérience. Je pense aussi à la capacité d’être à l’écoute de ce qui est là, de ce qui est vivant, de lâcher prise par rapport à des idées préconçues, des choses que j’avais prévues. Qu’est-ce qui est vivant là maintenant et ensuite qu’est-ce qu’on fait ? J’ai mis en place une approche basée entre autres sur la co-construction entre accompagnant et accompagné. Je viens dans ce travail avec le moins de présupposés possible. J’amène l’autre à construire son parcours d’accompagnement. Et en même temps, si on a co-construit quelque chose au départ et si en cours de route, autre chose s’invite, je veille à amener l’autre à ajuster continuellement son besoin, ses envies, ses objectifs et donc à adapter mes propositions méthodologiques.
Comme on dit parfois, travailler avec le vivant en intelligence de situation.
Exactement ! C’est ça ! Faire avec le vivant.
J’avais autre chose aussi à l’esprit, concernant les émotions…
Oui, la forme que tu peux donner à ce travail avec les émotions, si tu as un exemple.
L’analyse réflexive, pour moi, ça se joue à plein de niveaux. Il y a aussi cette dimension de capacité affective. On n’est pas des machines. Je reviens au sujet de l’acceptation. Comment je m’accepte, comment j’accepte mes émotions et donc, comment j’accompagne l’autre à être, à s’accepter. J’accompagne les professionnels de l’accompagnement et j’ai des gens parfois qui me disent, au début : « j’ai honte d’être accompagné ; j’ai honte d’être supervisé ». Plus tard, s’ils disent : « je n’ai plus du tout honte, voire je suis fier de mener ce travail pour moi et les autres », il y a quelque chose qui est déjà gagné. Ça veut dire qu’il y a cette résistance au début : je ne veux pas montrer mes vulnérabilités, je ne veux pas montrer que je suis en inconfort dans mon métier… et je ne veux pas le montrer à quelqu’un qui fait le même métier que moi, aussi. Il s’agit d’être très doux, très tendre avec cette part-là qui se manifeste. Il n’y a pas à dire que la personne n’a pas à avoir honte. Il y a une autorisation à cette honte qui est là.
Ce que tu dis, c’est très fort, parce qu’en fait ça semble être comme une condition. Si je veux pouvoir être en réflexivité sur ma pratique et que je ne m’aime pas, que je ne m’accepte pas, que je n’accueille pas ce qui se passe, ce que j’observe et ce que je fais, avec tendresse – c’est ton mot – , il n’y aura pas de réflexivité possible. C’est ça ?
C’est ça.
Ou elle sera tellement réduite…
Elle va être limitée, oui, par les mécanismes de défense, par les crispations, les résistances. Donc, j’ai tout intérêt à ce que ce terrain-là soit complètement ouvert pour pouvoir développer cette réflexivité. Complètement. Et pour pouvoir après – c’est une chose qui m’anime aussi – soutenir le développement du pouvoir créateur du professionnel, la mise en mouvement. Mais ça, c’est après, quand le terrain est ouvert.
C’est comme si, il y a dix ans, tu disais que tu avais besoin d’un cadre pour créer les conditions de sécurité. Et maintenant, tu dis que ça ne suffit pas. Il va falloir faire quelque chose pour que ça s’ouvre vraiment, cette acceptation de soi. Ce chemin d’acceptation de soi, tu vas le favoriser comment ? Tu as bien toujours un cadre, mais il y a quelque chose en plus dans ton accompagnement…
Cela renvoie à ce qui pour moi est fondamental : la posture relationnelle. Ça a tellement à voir avec mon état d’être et mes attitudes dans la relation. Aujourd’hui, c’est devenu naturel en moi de ne pas donner de conseils, de ne pas évaluer et porter un jugement sur l’autre ou de ne pas investir une posture d’expertise qui entraverait ce processus d’acceptation. Mais, le jugement peut être très insidieux. Il peut venir de plein de manières. Si un jugement s’invite, la pratique est que j’observe ce que cela dit de moi, de mes besoins, de mes peurs, etc… avec ce principe de responsabilité émotionnelle.
Pour que ça s’ouvre chez l’autre, il faut que j’éprouve cette ouverture à l’intérieur de moi et que je sois en mesure d’accueillir l’expérience émotionnelle de l’autre, tout en lui laissant la responsabilité émotionnelle de son expérience. Cette ouverture de l’autre va s’installer progressivement à chaque fois que ses émotions auront été accueillies par moi et donc non jugées, non balayées, non ignorées. A chaque fois que je n’aurai pas eu peur de l’émotion, que ce soit celle de mon interlocuteur ou la mienne, je nourris ce chemin d’acceptation. Ainsi, j’offre de la sécurité émotionnelle et relationnelle.
D’un point de vue méthodologique, je travaille avec des médiations, des stratégies du détour qui vont faciliter l’introspection, l’exploration, l’expression subjective… autant d’occasion de faire vivre cet accueil inconditionnel.
A cela s’ajoute mon approche d’accompagnement qui a vocation à soutenir la liberté de choix, l’émancipation, le développement du pouvoir d’agir et ainsi l’estime de soi des professionnels que j’accompagne. J’ai conçu un processus méthodologique spécifique d’analyse de la demande basée sur un principe de co-construction, qui active la capacité d’autodétermination de l’accompagné, qui valorise son expertise expérientielle et qui lui permet de concevoir son parcours d’accompagnement. Ces choix méthodologiques contribuent aussi à soutenir ce chemin d’acceptation par une valorisation et une mobilisation des facultés de la personne.
Tu vas ouvrir le champ du possible pour la personne, pour qu’elle puisse vraiment se l’approprier, dans sa propre créativité. Tu la laisses construire son chemin vers son émancipation. Est-ce que c’est ça ?
Oui, oui. Je suis très attachée aux notions de liberté de choix, d’émancipation, d’autonomie. Donc oui, oui, oui, c’est ce qui m’anime et qui m’animait déjà en 2014. Il y a une constante dans ma vie, il y a une constante dans ma mission de travail : la notion de liberté. Comment je soutiens la liberté, la liberté d’être, d’agir, de penser, de devenir ?
Et c’est un des bénéfices du travail réflexif. J’ai envie encore de te demander quel lien tu fais, dans ta pratique, entre ce travail sur les émotions, sur ce vécu d’acceptation / non-acceptation de soi, et le travail réflexif. Ça a l’air complètement imbriqué, ces deux aspects, ces deux dimensions.
Je suis passionnée par cette question : comment accompagner un professionnel à devenir le professionnel qu’il a envie d’être, à gagner en congruence, à s’émanciper de modèles pour devenir la meilleure version de lui-même. Cette question me guide dans ma mission. Tout ce travail sur l’acceptation et sur les émotions et le cadre aussi est une condition nécessaire pour pouvoir ouvrir et entrer dans un processus réflexif. Une de mes intentions est aussi de permettre au professionnel d’avoir une réflexivité sur ses émotions. C’est à mes yeux une condition nécessaire pour changer ses pratiques professionnelles. Cela ne vient pas de l’extérieur, par une injonction. Cela vient de l’intérieur et est ressenti comme juste. Pour ma part, je suis devenue, je crois, la professionnelle que j’ai envie d’être. Et c’est quelque chose que je cultive et qui grandit encore. Lorsque j’accompagne un professionnel, je n’ai pas un attendu de le transformer en moi. J’ai un attendu qu’il soit comme il est au fond de lui et qu’il accède à un niveau de justesse. La réflexivité, elle a pour but d’amener à une construction identitaire, en fait. Parce que je pense qu’un professionnel de l’accompagnement, il est la meilleure version de lui-même lorsqu’il a appris à reconnaitre ses émotions, à les accepter et à rentrer en amitié avec elles. Ainsi, il ne va pas agir dans sa profession à partir de résistances, tu vois. Il va agir à partir de qui il est profondément et de ses valeurs. Il va pouvoir incarner ses valeurs. Il y a plein de professionnels qui ont des valeurs, par exemple, humanistes. C’est tellement dur en fait d’arriver à vraiment les incarner. Et la réflexivité, c’est aussi de mettre de l’intention dans cette construction identitaire.
De l’intention ? C’est-à-dire concrètement ?
C’est de faire les choses en conscience. C’est d’amener à un niveau de conscience. C’est dire : je fais ça, j’agis de cette manière-là, je mobilise ça, dans quel but ? Qu’est-ce qui est sous-jacent ? Qu’est-ce qui est non-dit ? Qu’est-ce qui est implicite ? Donc de rendre explicite pour soi-même l’implicite. Pour étoffer sa pratique, pour y mettre de l’épaisseur.
C’est comme si c’était là tout le temps. C’est-à-dire quand tu travailles le cadre, quand tu travailles la sécurité, quand tu travailles cette ouverture à s’accueillir, il y a aussi cette conscience qui est mobilisée, qui est sollicitée.
C’est complètement lié, oui.
C’est un voyage intérieur, en fait, un voyage vers soi.
En quelque sorte, l’analyse réflexive, est un voyage vers soi, au travers de ce que l’on a vécu, de la situation, etc. Mais cette situation, elle vit à travers soi. Et ce que l’on peut vraiment modifier, c’est soi-même, le regard qu’on pose sur ce que l’on vit. Mettre de la conscience là-dessus. Je pense qu’il il y aurait un super article à faire, entre réflexivité et pleine conscience.
Et acceptation de soi.
Et l’acceptation.
Il y aurait tellement de choses à dire… Si on pense à conclure, qu’est-ce qui te viendrait à l’esprit ? Qu’est-ce que tu aurais encore envie d’évoquer ?
Je ne sais pas s’il y a d’autres choses que j’ai envie d’évoquer. J’ai juste envie d’honorer ce moment que je viens de vivre avec toi. C’est plutôt ça que j’ai envie, pour conclure.
Qu’est-ce qui est important pour toi ?
J’ai envie de te dire merci, parce que ça me reconnecte à ce qui m’anime, ce qui est vivant en moi. Ce moment d’interview m’a fait faire un voyage temporel, m’a permis de me relier au fil conducteur de mes missions, d’explorer la manière dont j’incarne cet accompagnement réflexif sur ses pratiques. Donc j’ai envie de te dire merci pour ça.
Merci Emilie. Pour moi c’était connexion, connexion à toi et connexion à soi. Comme une bulle précieuse et comme le temps qu’on peut passer en analyse de pratique, en conscience, pour continuer le voyage intérieur. Merci.
Références bibliographiques
Grégoire, E. (2014). Le cadre de l’analyse de pratique. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 2, 11-19. https://www.analysedepratique.org/?p=1046.
Grégoire, E. (2019). Libérez le pouvoir d’agir. Approche et méthodes pour co-construire vos accompagnements. Qui plus est (Editions).
Portelance, C. (2016). Relation d’aide et amour de soi. Montréal : Du Cram.
Rogers, C. R., (1996). Le développement de la personne. Paris : Dunod.
Rogers, C.R. (2013). L’approche centrée sur la personne. Anthologie de textes présentés par Howard Kirschenbaum et Valérie Land Henderson. Ambre Editions.