Michaela Knuchel-Bossel

Formatrice, enseignante, animatrice d’APP
m.knuchel.bossel[arobase]hep-bejune.ch


Résumé

Dans ce témoignage de l’évolution de ma pratique, je reviens sur quelques aspects de l’analyse de pratiques professionnelles (APP) : le cadre, les objectifs, l’analyse et la réflexivité, la parole et le symbole, la présence. Incontournables, je les considère aujourd’hui de manière nuancée et m’autorise à les aborder avec flexibilité. J’évoque aussi l’importance que j’accorde à la présence et au travail continu de recherche d’équilibre en fonction de chaque groupe et de chaque situation d’APP.

Mots-clés 

pratique, dispositif, expérience, réflexivité, présence

Catégorie d’article 

Témoignage ; texte de réflexion en lien avec des pratiques

Référencement 

Knuchel-Bossel, M. (2024). Du macramé à la dentelle. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 25, pp. 46-54. https://www.analysedepratique.org/?p=5749.


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From macrame to lace
Abstract

In this testimony of the development of my practice, I return to some aspects of the professional practice analysis (PPA) : the framework, the objectives, analysis and reflexivity, the word and the symbol, presence. Although they are essential, I now take a nuanced view of them and allow myself to approach them with flexibility. I also talk about the importance I attach to presence and to the ongoing work of finding the right balance for each group and each PPA situation.

Keywords

practice, system, experience, reflexivity, presence


Do macramê à renda
Resumo

Neste relato do desenvolvimento de minha prática, volto a alguns aspectos da análise da prática profissional (APP): o quadro, os objetivos, a análise e a reflexividade, a palavra e o símbolo, a presença. Embora sejam essenciais, agora tenho uma visão matizda deles e me permito abordá-los com flexibilidade. Também falo sobre a importância que atribuo à presença e ao trabalho contínuo de encontrar o equilíbrio certo para cada grupo e cada situação de APP.

Palavras-chave

prática, sistema, experiência, reflexividade, presença


Lorsque j’ai commencé ma formation d’animatrice d’analyse de pratiques professionnelles (APP), je croyais qu’il y avait un déroulement d’étapes qu’il suffisait de suivre, un cadre qu’il suffisait de poser, des paroles qu’il suffisait de gérer. Quelque chose de bien solide, que j’allais avoir bien en main !

Mais les expériences diverses m’ont fait découvrir la réalité des APP et affiner ma pratique. D’interrogation en remise en question, de bousculement en prise de conscience, j’ai changé, je me suis assouplie. De chêne je suis devenue roseau. A travers quelques aspects de l’APP qui m’ont interpellée, je vais tenter de décrire en quoi ma pratique a évolué.

1. Il faut tenir le cadre !

Durant les quatre premières rencontres d’une d’APP que je co-anime, Simon ne s’implique pas dans l’APP. Lorsque je tente de le solliciter, il répond par une parole désengagée, superficielle. Il est menuisier et voudrait enseigner les travaux manuels à l’école. Le monde de l’enseignement lui est encore bien étranger. Pour la cinquième séance, je demande aux participant·e·s de réfléchir à une situation qui implique des adultes (collègues, parents, direction, etc.). Quatre situations sont évoquées en quelques phrases, c’est celle de Simon qui est choisie. Il parle d’un téléphone houleux avec une maman d’élève. Il expose puis répond aux questions de clarification. A la fin de cette phase, Simon adresse au groupe la demande suivante : « qu’est-ce que j’aurais pu faire pour éviter le téléphone de la maman ? ». Autrement dit, comment aurait-il pu agir avec les élèves pour que la situation ne dégénère pas ? Ce n’est plus ce que le groupe a choisi d’analyser, et cela ne correspond pas non plus à ce que j’avais demandé. Je sens sur moi le regard de ma co-animatrice, celui des membres du groupe. Une participante proteste : « Ce n’est pas ce qui a été décidé ! ». Vais-je accepter la demande de Simon ?  Je réponds au groupe en rappelant un élément du cadre posé initialement : l’APP est au service de l’exposant. Mais le cadre, c’est aussi qu’il était décidé de traiter d’une situation entre adultes. Nous en discutons quelques instants. Sur le moment, sans bien comprendre pourquoi, j’accepte la nouvelle demande de Simon, je vérifie avec le groupe et ma co-animatrice, et nous débutons la phase d’analyse. L’APP se termine bien. Simon était bien plus impliqué lors des séances suivantes, il posait des questions, faisait des hypothèses. Bien plus tard, au cours d’un entretien d’explicitation, il m’est apparu que la pensée qui m’a traversée en cet instant décisif était : « Si je le lâche maintenant, je le perds pour toujours ! ». Il a été reconnu dans son besoin et il a su prendre sa place.

Tenir le cadre est essentiel, aucun doute. Pourtant, comme le dit Thiébaud (2022, p. 204), « Il peut être intéressant de garder la démarche souple afin de pouvoir ajuster en permanence objectifs et moyens. » Il y a parfois des circonstances individuelles ou groupales qui rendent nécessaire de créer ou soutenir une ouverture et de permettre un acte autre, digressif, dérangeant. J’en prends conscience – ou pas – à travers mes observations, des indices que je perçois. Dans la mythologie grecque, si Chronos est le dieu du temps physique, celui qui s’écoule et peut être mesuré, Kairos est le dieu du temps favorable, de l’opportunité. Il est représenté comme un jeune éphèbe ailé avec une longue mèche sur le front. Son temps est subjectif, ressenti, il correspond à une perception intérieure qui peut être confirmée par l’environnement. Lorsque passe Kairos, on a trois possibilités : soit on ne le voit pas, soit on le voit mais on ne fait rien, soit on le voit et on l’attrape par sa mèche. Ainsi « saisir Kairos » c’est être réceptif à ce qui (se) passe, c’est savoir attendre et passer à l’action.

La partie « ronde » du cadre, celle qui est garante de bienveillance, d’écoute, de respect de la personne, et la partie « carrée » du cadre, où il est question de contrats, de règles, de conventions, ne sont pas imperméables, elles ont une certaine porosité qui permet d’ajuster le dispositif aux circonstances du moment. Mais c’est une ligne de crête étroite où il s’agit de ne pas basculer d’un côté ou de l’autre, avec le danger de créer de l’insécurité pour les participant·e·s. Simon m’a fait comprendre que je pouvais me donner le droit de créer l’ouverture, que si je fédérais l’ad-hésion du groupe à ma décision avec une nouvelle contractualisation, il en résultait une co-hésion plus forte entre les participant·e·s.

2. L’APP, pour qui, pour quoi ?

L’exemple qui précède m’amène à préciser comment je conçois aujourd’hui les buts de l’APP. Selon les perspectives, les modèles, les courants, ceux-ci varient et il n’est pas de mon propos de les énumérer ici. De même, le ou les bénéficiaires ne sont pas considérés de la même manière.

J’ai grandi en APP avec le postulat que l’APP est au service de l’exposant. Certes, les membres du groupe profitent de l’analyse, mais c’est à travers l’accompagnement de l’exposant·e que chacun·e trouve à se nourrir. Je n’ai pas changé de postulat. Mais… le groupe a une vie propre, avec des envies, des besoins fondamentaux ou momentanés. Je me suis autorisée à m’y adapter parfois. Il m’est arrivé de quitter le dispositif APP pour accepter ce qui est plutôt un « échange de pratiques » (qui n’exclut pas a priori l’analyse !). Chaque membre du groupe avait un tel besoin de parler de ce qu’il vivait sur le moment, pour bénéficier d’un regard extérieur ou simplement pour déposer un fardeau, que l’APP s’enlisait. Je pourrais me dire que je n’ai pas su animer pour que le dispositif prenne, comme la mayonnaise où il faut que chaque ingrédient soit à la bonne température. Les participantes avaient trop de choses en elles qui les échauffaient pour pouvoir se focaliser sur l’analyse d’une seule situation. L’écoute, le partage, la réflexion autour des situations des unes et des autres a permis à chacune de repartir apaisée, avec des éléments de réflexion qui lui permettaient d’avancer dans sa pratique.

Est-ce un objectif suffisant ? Je revendique la réponse positive ! En ces temps de complexité grandissante dans le monde du travail, il me semble essentiel d’offrir dans les APP que j’anime, un endroit pour analyser, réfléchir, développer ses compétences professionnelles, mais aussi pour parler, déposer voire vomir quelque chose pour laquelle il n’y a nul autre endroit pour le faire. Je distingue ici le but de la séance spécifique de celui du processus global dans lequel le groupe est engagé.

Le processus, soit entre dix et vingt heures avec un groupe, vise pour moi à développer les compétences professionnelles des participants. Cela passe par l’analyse des situations et des pratiques, par l’accompagnement du et par le groupe, par l’apprentissage de la réflexivité, par ce qui se passe entre les séances. Mon but n’est pas que les participants apprennent à analyser ou à animer une APP, même si c’est un effet collatéral de l’APP, mais qu’ils soient mieux armés face à la complexité de leur quotidien professionnel. Mais mon opinion se fonde sur la pratique que j’ai des APP avec des participant·e·s issu·e·s du monde de l’enseignement. Je conçois bien qu’il peut y avoir nécessité de fixer des objectifs précis en accord avec une demande précise, par exemple institutionnelle.

3. Analyse et réflexivité

Je me retrouve bien dans ce que dit Balas-Chanel (2013, p.91) de l’analyse où il s’agit de :

  • « Passer d’un mode descriptif à un mode conceptuel, composé d’interprétations et d’explications ;
  • Tourner autour de cet objet pour le regarder sous différents angles et mieux en comprendre les rouages, les ressorts et les mécanismes ;
  • Repérer et estimer les liens de causes à effets entre les actes physiques et mentaux (d’attention et de décision, si minimes soient-ils) avec le résultat atteint. »

L’exposant·e regarde sa situation à travers un prisme grâce au questionnement du groupe, à ses hypothèses. Il prend de la distance, la voit sous un ou plusieurs autres angles différents car les membres du groupe lui renvoient qu’il existe d’autres interprétations, d’autres manières de voir et de faire que la sienne. C’est déjà beaucoup ! C’est en tout cas plus que ce que la personne lambda fera spontanément le soir après son travail !

Mais il n’est pas toujours suffisant de comprendre la situation par le biais du travail de description et d’analyse, tant pour l’exposant que pour les autres participant·e·s. Vient le moment de mettre en mots ce qui résonne en chacun·e, de conceptualiser ce qu’elle et il a appris, pour pouvoir s’approprier explicitement les nouvelles connaissances et prises de conscience.

La réflexivité, toujours chez Balas-Chanel consiste en « un retour de la conscience sur elle-même. De manière régulière et volontaire, avec le but de prendre conscience de sa manière d’agir et de réagir, dans les situations professionnelles ou formatives. Ce retour réflexif a pour finalité de réinvestir dans la pratique à venir les enseignements tirés de cette expérience et de construire ainsi les compétences professionnelles attendues. » (Balas-Chanel, 2013, pp. 8-9).

Ce qui me semble évident, c’est que la réflexivité n’est pas « naturelle », elle ne se donne pas facilement. Il s’agit d’une « hygiène » de vie (et de travail) qui s’acquiert à travers un « entraînement », qu’il s’agisse d’APP, de supervision, d’intervision, voire de méditation. Elle nécessite un engagement personnel.

L’analyse en APP est ainsi pour moi un élément de cette réflexivité par la contribution du groupe dans lequel chacun·e est co-accompagnant·e de l’exposant·e. Cela implique une responsabilité (de même qu’une responsabilisation !) qui se construit au fil du processus, mais aussi une acquisition de compétences qui m’émerveille à chaque fois que j’en suis témoin !

4. La parole et le symbole

ANALYSE de la pratique. Pas IMAGE ou SYMBOLE de la pratique. L’analyse, ce sont des mots, de la réflexion, du rationnel. C’est ce qui se passe dans une APP. Pour commencer, l’exposant fait une narration orale de sa situation et de sa pratique. Ce faisant, il en propose une re-construction à travers le prisme de ses souvenirs mais aussi de la présentation de soi qu’il propose aux participants. Ceux-ci questionnent ensuite cette situation, peut-être en étant orientés par une demande de l’exposant. Ils formulent des hypothèses qu’ils ont éventuellement préalablement écrites. Jusqu’au bilan, chaque phase de l’APP fait appel aux mots, à la pensée rationnelle. La parole a ainsi un statut prépondérant, voire totalitaire. Et pourtant… les neurosciences montrent que « nous pensons en symboles avant de penser en paroles » (Caillé, 2005, p.190).  Avec la parole, l’expérience qui peut être imagée, symbolique, émotionnelle, devient partageable car mise en mots. La logique symbolique se combine à la logique rationnelle, la première étant surtout intuitive et liée aux perceptions, aux sensations corporelles, la deuxième étant convaincante, cohérente, liée à des signes abstraits, mots, raisonnements.

Lorsque je me suis autorisée à utiliser d’autres outils en APP, j’ai appris que le passage par la symbolique peut ouvrir à des compréhensions que la parole ne permettrait peut-être pas – ou pas aussi directement. L’exemple le plus frappant a été une APP avec des médiatrices scolaires auxquelles j’ai proposé de faire précéder la phase des hypothèses de compréhension d’un dispositif issu des thérapies familiales, les statues. L’exposante compose un premier tableau de sa situation avec les participantes comme protagonistes. Dans un deuxième temps, chacune peut se placer dans l’espace comme elle le souhaite afin de se sentir bien. Je vois alors l’exposante placée à l’écart du groupe des protagonistes. Je lui rappelle d’un ton neutre qu’elle peut prendre sa place où elle le souhaite dans le tableau. Elle rétorque – toute surprise de sa réponse – que c’est là qu’elle est à sa place et non au milieu des protagonistes (Il s’agissait d’une séance de médiation entre adultes, alors qu’elle est médiatrice scolaire en charge des enfants). C’est une révélation pour elle qui se demandait jusqu’à cet instant quel rôle elle devait jouer dans cette séance de médiation. Les hypothèses ne sont plus nécessaires, ni les pistes d’action. La compréhension à travers la symbolique des corps et de l’espace est presque instantanée.

Je me définis comme étant créative, ouverte à l’expérimentation, mais je ne m’y autorisais pas. J’ai souffert de ce que je percevais comme deux camps : ceux qui restent confinés dans une procédure, qui sont sérieux, ennuyants, et les autres qui sont créatifs et joyeux. Il ne s’agit évidemment pas de ça. Chaque modalité d’APP a sa raison d’être. Ayant œuvré dans la formation des superviseurs et animateurs d’APP, je reste persuadée qu’il est nécessaire de s’approprier un dispositif ou un protocole avant d’en jouer, d’oser des variations, et que pour y parvenir, il faut ouvrir le champ des possibles en donnant à voir ce qui existe, afin que chacun et chacune puisse élargir son horizon et peut-être, un jour, franchir le pas et faire varier le dispositif familier, voire en changer.

5. Equilibre

Finalement, aujourd’hui, je suis en perpétuelle recherche d’équilibre.  Chaque groupe est différent, une séance n’est pas semblable à la suivante, les situations sont d’une variété infinie, les outils n’ont pas toujours l’effet escompté, etc. Entre la sécurité que me donne la maîtrise d’un dispositif et la possibilité que j’ai d’amener des variations pour m’adapter au groupe ou à la situation, il y a un point d’équilibre fragile. En fonction de quoi vais-je décider de proposer par exemple les statues ? quelles observations ? quelles résonances ? Peut-être qu’un jour je me sentirai vulnérable et resterai dans le cadre familier de mon dispositif habituel. Un autre jour je me sentirai plus forte et m’autoriserai une variation.

Il me paraît essentiel de bien « sentir » le groupe, d’accueillir ses émotions, de vérifier son sentiment de sécurité face à une variation que je pourrais proposer. « Selon le besoin, on procèdera de façon très progressive et prudente. Les variations peuvent être déstabilisantes pour certains participants qui peuvent avoir besoin de temps pour se sentir à l’aise dans le groupe et s’approprier un processus de travail. » (Thiébaud, 2022, p. 206).

Face à la sécurité, il y a l’incertitude, l’acceptation que je n’ai pas tout sous contrôle. J’essaie aujourd’hui d’accueillir l’incertitude en APP et de « faire avec » plutôt que « d’aller contre. » Il s’agit moins de définir une fois pour toutes un dispositif ou un protocole, mais plutôt d’annoncer une flexibilité possible, si le groupe en est d’accord, et une adaptation aux besoins en fonction des évolutions (du groupe, des besoins, des compétences en APP, etc.). Cette attitude nécessite de ma part un lâcher-prise en termes de maîtrise du processus, puisque je prends le parti d’accepter l’imprévu. Je m’efforce de ne pas être en projet sur ce que devra être la séance d’APP.

6. Ma présence

Ces dernières années, j’ai été amenée à consacrer toujours plus d’importance au moment présent dans mes accompagnements individuels ou collectifs, et cela se concrétise également dans ma vie privée et professionnelle. Je suis prise dans une spirale ascendante où une formation, une expérience vient nourrir la suivante, améliore ma perception et approfondit ma réflexion.

Ma présence attentive au moment présent me permet de percevoir ce qui se passe en moi. Mes émotions, mes sensations physiques, mes résonances, mes pensées à l’écoute du groupe sont autant d’indications pour moi de ce qui se passe pour les membres du groupe, la relation, le processus. Je peux observer le langage non verbal, ce que montrent les corps, les visages, ce que j’entends dans les mots comme dans le langage paraverbal. Je peux alors questionner ces manifestations, les rendre explicites lors de moments méta. Elle me laisse ouverte à ce qui peut survenir, disposée à accueillir sans interpréter, sans chercher de solutions, d’explications, sans enfermer le groupe dans une vision qui serait la mienne.

Avant chaque APP, je m’accorde un moment pour entrer dans l’APP et laisser derrière moi ce qui me préoccupe dans le quotidien afin d’être pleinement présente. En même temps, puisque je suis présente dans l’instant, je suis également dans l’intention (dans le présent) et non l’attente (de ce qui devrait se passer dans le futur), ce qui me permet de me détacher d’objectifs, de buts qui devraient être atteints. Hartmut Rosa (2021, p.260) dit : « Il est à supposer que plus une personne est en résonance[1] avec elle-même, et plus cela incite les autres à entrer en résonance avec elles-mêmes comme avec d’autres personnes. » Je crois en l’exemple de la présence à soi. Dans le présent de la rencontre, de la narration, de l’analyse, s’ouvre un champ de possibles à envisager. La présence à soi et à l’autre dans cet espace intersubjectif vise ainsi l’autonomie de la personne qui peut entrevoir, pour elle, d’autres perspectives. Ce « pour quoi » de la présence à soi rejoint mes préoccupations professionnelles d’autonomisation et représente, me semble-t-il, un enjeu fort de l’accompagnement.

7. Pour conclure…

Il y a quelques années, j’avais écrit un article pour la présente Revue. J’y décrivais l’APP ainsi : « Au moment d’écrire ces lignes, il me vient la métaphore du macramé – pas du tricot, on y travaille avec un seul fil ; pas du tissage, on y travaille avec un fil qui en croise d’autres. Pour réaliser un macramé, on prend plusieurs fils, on les entrecroise, on en laisse certains au repos un moment pour les reprendre plus tard, on doit tenir compte de ce qui a été fait avant pour continuer et finalement, au fil des croisements complexes se dessine un motif compréhensible. » (Knuchel-Bossel, 2019, pp. 143-144).  J’ai le souvenir de quelques ouvrages de macramé que j’ai réalisés dans ma jeunesse : je suivais un patron, nœud après nœud, ligne après ligne.

Lorsque me reviennent mes débuts d’animatrice d’APP, je me souviens que j’avais peur d’oublier une étape, de manquer quelque chose d’essentiel dans la situation exposée, de ne pas savoir quoi dire en cas de silence. Ces peurs m’ont quittée pour laisser la place à une confiance dans mes compétences d’animatrice et dans la force du groupe. De nombreuses lectures et formations ont alimenté ma réflexion et ma pratique. Je citerai dans le désordre Maela Paul, Jürg Bichsel, Marc Thiébaud, Carl Rogers, Nadine Faingold, parmi tant d’autres. Mes préoccupations sont plus subtiles aujourd’hui et je sais qu’elles ne me quitteront pas. Et si je ne voyais pas cette respiration qui s’accélère ? Si je n’entendais pas ce tremblement dans la voix ? Si je ne prenais pas conscience de mon accélération cardiaque ? Et si je n’entendais pas le jugement dans une question et ne voyais pas la blessure qu’il cause ? Je ne veux pas prétendre être parfaite, j’ai bien trop conscience de mes lacunes et je sais que je peux me permettre des erreurs sans que cela provoque un drame. Au-delà d’un dispositif, d’un protocole, d’un outil utilisé, l’APP est un entrelacs de fils très fins qui composent la relation, la sécurité, la confiance. C’est pourquoi, de macramé mon accompagnement est devenu dentelle.

         

Illustrations Wikipedia

Références bibliographiques

Balas-Chanel, A. (2013). La pratique réflexive. Elsevier Masson.

Caillé, P. (2005). La symbolique au quotidien. Son importance en thérapie comme ailleurs… Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratique de réseaux, 1 (34), 189-206.

Knuchel-Bossel, M. (2019). La formation à l’animation de groupes d’APP : une initiation au macramé. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, (15), 138-146.

Rosa, H. (2021). Résonance. Une sociologie de la relation au monde (S. Zilberfarb & S. Raquillet,  Trad.). La Découverte. (Ouvrage initialement publié en 2016)

Thiébaud, M. (2022). Une démarche d’APP dynamique et évolutive. Dans S. Boucenna, M. Thiébaud & Y. Vacher.  Comment accompagner avec l’analyse de pratiques professionnelles ? (pp. 203-233).  De Boeck Supérieur.

 

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Notes

[1] « [le concept de résonance] est le sentiment de base d’une personne saine, ce qu’elle ressent quand elle est en harmonie avec elle-même, authentiquement et dans le maximum de dimensions possibles de sa personnalité » (Rosa, 2021, p. 260).