Jean Chocat

Cadre de santé – Formateur en soins infirmiers et en pratiques tutorales
Limoges
Jean.chocat@orange.fr

 

Résumé

Au printemps 2022, est parue la seconde édition de l’ouvrage de Yann Vacher, faisant suite à une première édition de 2015 et s’intitulant Construire une pratique réflexive : comprendre et agir. Cette note de lecture met en avant toute la richesse et la portée de ce travail de publication, qui retrace un travail de recherche autour de la démarche réflexive et de son application dans le cadre d’un dispositif d’analyse de pratiques professionnelles, le dispositif ARPPEGE.

Mots-clés 

réflexivité, ARPPEGE, recherche

Catégorie d’article 

Compte-rendu

Référencement 

Chocat, J. (2022). Note de lecture : à la rencontre d’un « attracteur étrange » qu’est la réflexivité, et son application dans le dispositif ARPPEGE. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 23, 134-140. https://www.analysedepratique.org/?p=5484.


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Reading note : encountering the « strange attractor » of reflexivity, and its application in the ARPPEGE system
Abstract

In the spring of 2022, the second edition of Yann Vacher’s book was published, following a first edition in 2015 entitled Construire une pratique réflexive : comprendre et agir (Building a reflective practice: understanding and acting). This reading note highlights the richness and scope of this publication, which traces a research project on the reflective approach and its application in the framework of a professional practice analysis system, the ARPPEGE system.

Keywords

reflexivity, ARPPEGE, research


Nota para o leitor: um encontro com o « atrativo estranho » da reflexividade e a sua aplicação no sistema ARPPEGE
Resumo

Na primavera de 2022, foi publicada a segunda edição do livro de Yann Vacher, em seguida à primeira edição de 2015, intitulada « Construire une pratique réflexive: comprendre et agir ». Esta nota de leitura destaca a riqueza e o alcance dessa publicação, que retraça um projeto de investigação sobre a abordagem reflexiva e a sua aplicação num dispositivo de análise das práticas profissionais, o dispositivo ARPPEGE.

Palavras-chave

reflexividade, ARPPEGE, pesquisa


 

Nul besoin de présenter à nouveau Yann Vacher, chercheur et formateur à l’université de Corte en Corse et auteur de nombreux articles et conférences autour de la réflexivité et l’analyse de la pratique professionnelle (A.P.P.). Il a notamment coordonné le dernier numéro thématique paru dans notre revue qui présente le dispositif ARPPEGE (analyse réflexive de pratiques professionnelles en groupe d’échange ; Vacher 2022a).

Le regard qu’il porte sur l’approche en formation par l’A.P.P. et qui mobilise une démarche réflexive, est toujours pour nous, praticiens en A.P.P., la source d’une réflexion sur nos pratiques d’animateurs de groupe et nous donne à entrevoir de multiples applications possibles. Ainsi, c’est avec un grand plaisir qu’une note de lecture lui est consacrée dans ce numéro. Elle fait suite à son dernier ouvrage paru au printemps 2022, en tant que seconde édition d’un précédent livre paru en 2015 (voir la note de lecture de Thiébaud, 2015) et intitulé Construire une pratique réflexive : comprendre et agir (Vacher, 2022b). Ce travail de publication est consécutif à un travail de thèse soutenue en 2010 qui portait sur la Pratique réflexive et professionnalisation au cœur de la formation des enseignants stagiaires : quelle opérationnalisation pour réduire les tensions ? Un exemple à l’IUFM de Corse.

Il semble primordial de stipuler en avant-propos qu’une simple note de lecture ne pourrait suffire compte tenu de la richesse de cet ouvrage. Ainsi, nous aborderons dans un premier chapitre l’intérêt de cette seconde édition. Nous poursuivrons notre étude par la présentation de la portée de son travail de recherche pour l’A.P.P. et, pour conclure, par deux réflexions que nous a inspiré la lecture attentive de la seconde édition de son ouvrage.

1.   Une seconde édition : vers une logique de précision et de complémentarité

Quel est l’intérêt de cette seconde édition et pour quelle plus-value ? Était-elle nécessaire et surtout utile ? Oui, tant le contenu de l’ouvrage nous donne à voir la portée du travail de recherche pour nous, praticiens en A.P.P.

Quelles sont les raisons alors pour cette seconde édition ? Dans son introduction, l’auteur en mentionne l’intérêt. Il évoque (p. 7-8) : « Depuis la première édition de cet ouvrage, l’usage des concepts de pratique réflexive et de réflexivité n’a cessé sa progression… cette seconde édition s’est présentée comme l’opportunité de tenter de répondre à ces lacunes. Mais ce travail d’actualisation n’est pas le seul produit de cette volonté de clarification, c’est aussi le fruit d’une maturation des concepts et leur confrontation à de multiples situations. » L’auteur se positionne ainsi dans une démarche visant à « l’exploration plus poussée des processus et objets de la réflexivité ».

Ainsi, il apparaît nettement chez l’auteur cette volonté de ne pas fixer cette démarche réflexive dans un tout qui serait à jamais ancré dans des certitudes ! C’est par un questionnement permanent, une recherche plus poussée autour de la réflexivité et la portée du dispositif ARPPEGE qui font que cette seconde édition apporte des éléments complémentaires à la compréhension. Et, malgré la densité de l’étude, c’est avant tout une vision pragmatique que nous propose l’auteur et celle-ci peut nous servir d’appui dans nos pratiques en A.P.P. De quoi nous inciter à nous « replonger » dans une seconde lecture attentive !

2.   Au travers de son ouvrage, quelle est la portée du travail de Yann Vacher sur la démarche réflexive et l’A.P.P. ?

Il existe depuis quelques années dans nos référentiels de formation, une forme d’injonction à former de futurs praticiens réflexifs avec le positionnement de dispositifs d’A.P.P. La question de l’alternance intégrative y prend alors tout son sens, en instaurant un cadre d’application se situant entre les différents temps et lieux de formation. La multiplicité des savoirs convoqués dans nos pratiques professionnelles est ainsi remise en perspective pour être réinterrogée à distance de l’activité, et ce, pour une plus grande efficience de cette dernière.

Cependant, comme vient à l’évoquer l’auteur, la seule injonction ou l’intérêt que l’on peut porter à cette approche en formation ne suffit pas à en faire un dispositif suffisamment porteur de résultats. Il évoque la nécessité d’aller au-delà de l’improvisation dans nos pratiques d’analyse, et la nécessité de conduire des démarches de recherche et de clarification sur lesquelles vient s’appuyer la mise en application des dispositifs d’A.P.P. Partant de ce constat, l’auteur nous apporte alors un cadre à la compréhension nécessaire pour nos pratiques en A.P.P.

Avant de présenter ces points de repère, je souhaiterais retranscrire les impressions que j’ai eues à la lecture de l’ouvrage.

Elles se présentent comme une forme de réfléchissement à l’œuvre, car l’étude de son chapitre autour de la réflexivité m’a conduit naturellement à l’appliquer au fil de ma lecture. Ce sont celles de densité, de clarté et de complexité dans la présentation de la démarche réflexive et du dispositif ARPPEGE. Ce qui nous engage en tant que lecteur dans une étude attentive allant au-delà d’une simple lecture. Il devient alors un outil de travail à reprendre au fil des réflexions et des questionnements qui émergent au fur et à mesure. Un aller-retour permanent entre l’auteur et le lecteur.

Qu’en est-il de cette impression de densité et de clarté ?

  • Densité, au sens qu’au terme de la lecture du chapitre 1 portant sur comment définir la pratique réflexive, l’ensemble des points relatif à cette pratique se veut exhaustif et soutenu par la référence à de nombreux auteurs ayant travaillé sur cette question. Cependant, le travail va au-delà d’une simple énumération de références. Il apparaît une mise en dialogue autour de cette réflexivité, avec un cheminement qui amène l’auteur en tant que praticien chercheur à mobiliser son expérience faite en formation, à argumenter un cadre compréhensif à cette démarche réflexive. Ce cadre venant ensuite comme base d’appui au dispositif d’analyse ARPPEGE et à son étude dans le travail de recherche conduit en thèse. Ainsi, d’une simple représentation que je pouvais avoir de cette réflexivité, une compréhension plus approfondie est venue la remplacer. Je me suis même invité à l’appliquer en situation d’accompagnement d’étudiants dans l’analyse de leurs pratiques professionnelles.
  • Clarté et complexité : comme évoqué précédemment, la première lecture du travail vous indique clairement qu’il faudra s’engager dans une lecture attentive, rythmée par l’émergence de nombreux questionnements et des mises en liens significatifs entre le lecteur, sa pratique et celle de l’auteur. De cette complexité perçue en première lecture est née une compréhension au fil de multiples allers-retours. C’est une véritable rencontre entre un auteur-chercheur et le lecteur, qui aurait pu transformer cette note de lecture en un entretien avec l’auteur autour de questions qui émergent au fil de la lecture. Ces multiples lectures attentives montrent clairement la logique sous-jacente que suit l’auteur et la cohérence dans la présentation de cette démarche réflexive. Il y a alors une mise en débat, une confrontation d’un concept avec sa réalité dans son application au sein de groupes en A.P.P. J’en retiendrai une tout particulièrement, celle d’approche multiréfléchie. Une approche qui me semble intéressante en formation initiale et qui redonne au temps d’A.P.P. la place accordée au sujet professionnel dans toute sa singularité, en tenant compte du niveau et des acquisitions des participants à des temps d’analyse. Elle sera présentée plus loin dans cette note de lecture.

J’en viens à présenter trois points qui me semblent essentiels, même si d’autres auraient pu faire partie de cette note de lecture. Ils sont en rapport avec ma position d’animateur en A.P.P.

  • Le premier point est relatif à la définition de la réflexivité et est développé à partir de l’étude de nombreux auteurs (Joannaert, Lafortune et Deaudelin, Holborn, Piaget, Schön, etc.), sans qu’il y ait de divergences relevées. Elles viennent se compléter, se préciser. Ainsi, Yann Vacher en propose un cadre compréhensif suffisamment explicite et opérationnel, qui pourrait venir étayer les dispositifs d’analyse à visée réflexifs. Pour quelle définition de cette approche réflexive ? C’est une réflexion étayée par soi, sur soi et en réponse avec la rencontre d’un sujet et d’un environnement, ayant pour finalité en retour la question de la performance du professionnel en situation et son développement. Pour ce faire, la démarche réflexive se structure autour de trois temps : un processus de réfléchissement (ce qui me vient en première intention de la situation vécue, les faits, les impressions, le vécu, etc.), puis de réflexion sur ce réfléchissement et une métaréflexion venant porter un regard compréhensif sur ce que nous engageons dans le processus de réflexion. Cette démarche s’appuie à partir d’un regard distancié sur soi en situation, étayée par une approche réfléchie et dialogique, développant ainsi une « épistémologie professionnelle personnelle ». Un exemple est proposé par l’auteur et concrétise cette démarche et cette pratique réflexive. Cependant, la situation vécue est par nature complexe et l’auteur stipule qu’il serait illusoire de vouloir l’appréhender dans une démarche de compréhension totalement objective et exhaustive. De plus, elle engage le sujet à « agir en assumant ses responsabilités ». Ainsi, cela amène à s’interroger sur la place accordée au sujet en tant qu’acteur de sa réussite et le poids porté d’un point de vue psychique sur cette forme d’injonction à être soi et à être performant. Cela me renvoie tout naturellement à l’étude d’Ehrenberg (2000) dans son ouvrage La Fatigue d’être soi : dépression et société, avec l’ouverture possible vers une souffrance psychique inhérente au manque de repères institutionnels pour prendre les bonnes décisions. Ainsi, cette pratique réflexive ne pourrait-elle pas être une aide pour développer un soi professionnel suffisamment protecteur du sujet acteur dans sa pratique quotidienne, et de développer par là même son processus de professionnalisation ? C’est une question que je mets en débat et elle traverse, me semble-t-il, l’ensemble du travail de recherche présenté.
  • Le second point étudie le cadre d’analyse des situations vécues et s’appuie sur la démarche réflexive. Nous en présenterons deux essentiellement.
    • Ce travail d’analyse se structure à partir d’une démarche de mise à distance de la situation vécue. Cette mise à distance permet d’engager un travail de réflexion portant sur les éléments significatifs émergents et étayés par un cadre d’analyse, pour un retour sur la pratique en vue de son amélioration. L’auteur relève la place accordée à « des produits émergents en parallèle de l’activité de rationalisation. Ces émergences s’incarnent sous la forme de résonances, d’émotions, d’associations d’idées, de créativité, d’intuition» (p. 36). Nous ne pouvons qu’appuyer cette place accordée à la subjectivité en appui du travail réflexif. Ainsi, le processus d’analyse demeure toujours dans une visée commune de développement et d’efficience du professionnel en situation d’exercice et s’inscrit dans une démarche de développement.
    • Sur quoi se base le travail réflexif qui vise à analyser et à donner du sens ? Ou, comme l’évoque l’auteur, à tendre vers une « réorganisation éclairante des éléments à partir des liens qui les unissent ». Classiquement, en tant que praticiens en A.P.P., nous évoquons préférentiellement une approche multidimensionnelle et multiréférentielle développée notamment par Ardoino. Cependant, malgré tout l’intérêt de cette approche, il est évoqué toute la difficulté pour les participants à maîtriser au minimum l’ensemble des dimensions pouvant être convoquées durant la phase d’expression des hypothèses compréhensives. L’auteur se positionne ainsi en faveur d’une troisième approche (la seconde étant celle proposée par Altet, l’approche plurielle), en l’argumentant par le fait qu’il est rare d’avoir en présence et en même temps un panel d’experts. Yann Vacher nous apporte alors une vision, semble-t-il, plus réaliste tout en demeurant pertinente et opérationnelle. C’est l’approche multiréfléchie. Il la présente comme suit (p. 45) : « Dans cette approche, la matière de la réflexion se construit à partir des savoirs issus des champs disciplinaires, scientifiques, et de l’expérience, des références qui les fondent, des perspectives propres au sujet qui réalisent l’analyse, des données relatives aux conjectures dans lesquelles s’inscrivent la situation d’analysée et enfin de l’étude du “voile de subjectivité” qui relie l’ensemble et en émerge.» Et il précise (p. 46) que le professionnel peut enclencher ce processus de multiréflexion en le faisant de « façon située en fonction du niveau de ses propres ressources, de ce que ses interlocuteurs peuvent donner ou coconstruire dans les processus de formation ou d’accompagnement et de sa capacité à aller chercher de la connaissance pour amplifier, éclairer cette perspective générale ».
  • Le dernier point s’intéresse tout particulièrement au dispositif ARPPEGE. Vous y trouverez sa description dans le chapitre 2 de l’ouvrage ainsi qu’une présentation exhaustive dans le dernier numéro thématique de la Revue de l’analyse de pratiques professionnelles. L’auteur en précise l’ensemble des étapes et en étudie sa portée lors du travail de recherche en thèse. Ce dispositif est intéressant, mais peu habituel dans nos pratiques en A.P.P. où, bien souvent, le GEASE ou d’autres dispositifs proches sont dominants. Il accompagne les participants dans ce travail d’analyse, en privilégiant un travail d’élaboration progressif individuel, puis collectif avec une mise en confrontation, le « chemin faisant » son œuvre ! Il cadre le travail d’analyse et comme le montrent les résultats de la recherche et les retours d’expérience, il amène un véritable travail d’élaboration au bénéfice de la pratique professionnelle. Il invite certainement le lecteur à l’expérimenter.

3.   Pour quelques réflexions complémentaires et critiques

L’étude de cet ouvrage me conduit à présenter deux réflexions complémentaires.

La première réflexion porte sur le positionnement de cette démarche réflexive dans nos programmes de formation et en quoi elle est un levier suffisamment puissant pour le développement de compétences professionnelles. Les résultats obtenus par l’auteur dans son travail de thèse en démontrent clairement sa portée. Elle concourt à positionner des points d’ancrage dans nos programmes, en donnant du sens aux champs théoriques enseignés et en inscrivant l’expérience professionnelle comme l’une des ressources à mettre en dialogue dans une visée didactique. Le bien-fondé de l’alternance intégrative se situe certainement à ce niveau. Elle remet en question aussi la formation des animateurs en A.P.P., dans le sens de la nécessité de se former à la conduite de groupe en A.P.P.

La seconde réflexion s’ouvre vers une autre lecture de cet intérêt réflexif pour le sujet professionnel et qui est juste évoqué dans l’ouvrage, à savoir une lecture éthique de cette réflexivité. En quoi s’inscrire dans cette réflexivité concourt-il à donner ou à redonner du sens au travail qui se veut bien fait, en référence à « l’esthétisme » de toute activité bien faite ? Conduire des temps d’A.P.P. redonnerait ainsi une place à l’humanité attendue dans tous les milieux de travail et repositionnerait le professionnel comme étant, non plus un simple exécutant, mais acteur de son travail, le nourrissant en retour d’une gratification existentielle. La lecture de l’ouvrage me redonne ainsi un espoir à pouvoir dépasser les situations complexes auxquelles on est confronté aujourd’hui.

4. Pour conclure une note de lecture qui n’est que le commencement d’une réflexion

Je vous invite à accueillir le travail de Yann Vacher avec beaucoup d’intérêt, voire de curiosité et à découvrir une pensée positive et dynamique. À condition de ne pas rester sur des certitudes préétablies, mais à se laisser surprendre par des ouvertures possibles. On ne peut qu’en ressortir grandi par ces possibilités qui s’ouvrent pour nos pratiques, que l’on soit animateur de groupe ou participant. Tout en sachant que cette réflexivité n’est pas réservée uniquement au temps d’A.P.P., mais fait partie d’une forme d’entrée en relation avec soi-même et avec les autres, en relation aussi avec son travail, comme dans notre quotidien de vie. Merci Yann, pour ton apport et sûrement vers d’autres publications ?

Références bibliographiques

Ehrenberg, A. (2000). La Fatigue d’être soi : dépression et société. Odile Jacob.

Thiébaud, M. (2015). Lecture d’un ouvrage récemment paru « Construire une pratique réflexive ». Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 5, 74-78. http://www.analysedepratique.org/?p=1639.

Vacher, Y. (coord.) (2022a). ARPPEGE. Revue de l’analyse de pratiques professionnelles. No 22. https://www.analysedepratique.org/?p=5278.

Vacher, Y. (2015/2022b). Construire une pratique réflexive. Comprendre et agir. Bruxelles : De Boeck.

 

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