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Résumé
Cet article présente une formation modulaire à l’animation de groupes d’analyse de pratiques. Il s’agit non seulement d’en décrire l’organisation mais aussi d’analyser les conceptions mobilisées en matière d’ingénierie de formation et les effets produits par ce dispositif. Ce dernier a concerné des formateurs recrutés par le rectorat dans le cadre de la formation continue des enseignants. Cet article vise à montrer, en s’appuyant notamment sur quelques témoignages, qu’une stratégie de formation fondée sur la didactique professionnelle permet de développer les compétences attendues d’un animateur de groupes d’analyse de pratiques.
Mots-clés
développement professionnel, didactique professionnelle, mise en situation, animation, supervision
Catégorie d’article
Texte de réflexion en lien avec les pratiques
Référencement
Péaud, P. (2021). Un parcours de formation à l’animation de groupes d’analyse de pratiques professionnelles dans l’académie de Poitiers (2017-2020). In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 19, pp. 149-162. http://www.analysedepratique.org/?p=4413.
Article en PDF Commentaires
A training course for facilitating professional practice analysis groups in the Poitiers academy (2017-2020)
Abstract
This article presents a modular training course for the facilitation of practice analysis groups. The aim is not only to describe its organisation but also to analyse the concepts used in training engineering and the effects produced by this system. The latter involved trainers recruited by the rectorate in the context of in-service teacher training. The aim of this article is to show, based in particular on a few testimonies, that a training strategy based on professional didactics makes it possible to develop the competences expected of a facilitator of practice analysis groups.
Keywords
professional development, professional didactics, situational analysis, facilitation, supervision
À la rentrée scolaire 2015, le ministère de l’Éducation nationale décida de modifier le recrutement des formateurs d’enseignants en actualisant le certificat d’aptitude des formateurs des professeurs des écoles[1] et en créant un certificat pour les formateurs d’enseignants des collèges et des lycées[2]. Cette modification eut pour conséquence l’apparition à la rentrée 2016 dans le plan académique de formation continue de l’académie de Poitiers d’un volet concernant la professionnalisation des formateurs d’enseignants autour de trois axes, l’un d’entre eux étant centré sur l’analyse des pratiques[3].
1. Le contexte
Je fus chargé par la délégation académique à la formation des personnels de mettre en œuvre l’axe de formation de formateurs à l’analyse de pratiques. Deux raisons expliquaient ce choix : j’avais contribué à l’enracinement de l’analyse des pratiques dans l’académie de Poitiers depuis 1998, d’abord comme formateur puis comme chargé de mission à la formation des formateurs à l’IUFM[4] (Péaud, 2019), et je venais de créer le seul parcours de master existant à l’université de Poitiers sur l’ingénierie pédagogique de la formation d’adultes.
Le projet académique était alors en discussion. Pour concevoir ces formations de formateurs à l’analyse de pratiques, je devais tenir compte des objectifs de formation fixés dans ce projet : il s’agissait de développer un vivier de formateurs et de renforcer l’accompagnement de publics ciblés : les enseignants stagiaires, les enseignants néo-titulaires (T1-T2), c’est-à-dire les enseignants titulaires ayant exercé le métier pendant une ou deux années, le personnel en difficulté (personnel enseignant et non enseignant), accueilli dans le cadre du dispositif d’accompagnement professionnel (DAP, Péaud, 2020). Le projet académique imposait également une structuration de la formation des formateurs : il fallait concevoir des dispositifs modulaires permettant une individualisation des parcours de formation.
Quels formateurs intervenant en formation continue étaient concernés par l’accompagnement des publics identifiés dans le projet académique ? Dans quelle mesure la nature de leurs missions impliquait-elle l’animation de groupes d’analyse de pratiques ? Parmi les publics ciblés, seuls les enseignants néo-titulaires (T1-T2) et le personnel accueilli dans le DAP relevaient de la formation continue, les enseignants-stagiaires relevant de la formation initiale professionnelle à l’université. Le parcours de formation à construire devait donc s’adresser en priorité aux formateurs-accompagnateurs intervenant auprès des T1-T2 et aux référents du DAP, même s’il ne s’agissait pas d’exclure tout formateur intéressé par l’animation de groupes d’analyse de pratiques.
Tant pour le dispositif de formation des T1-T2 que pour le DAP, il était prévu des groupes d’analyse des pratiques. Pour la formation des T1-T2, le cahier des charges académique avait comme finalité de consolider et d’enrichir la « boîte à outils » du professionnel débutant et de développer ses compétences réflexives ; parmi les modalités proposées figurait l’analyse de pratiques en groupe à partir de différents supports (témoignages oraux ou écrits, enregistrements vidéo d’un moment de sa pratique professionnelle, jeux de rôles). Dans le cadre du DAP, la participation à un groupe d’analyse de pratiques figurait parmi les modalités possibles d’accompagnement.
2. L’organisation d’un parcours de formation de formateurs à l’animation de groupes d’analyse de pratiques
Le parcours de formation était organisé ainsi :
Dénomination | Durée | Déroulement | Contenus |
Analyse de pratiques en groupe | 18h | Deux sessions (2 jours + 1 jour) avec une intersession de 5 à 7 semaines |
– Les différents dispositifs d’analyse de pratiques en groupe – Postures, gestes professionnels et règles de métier de l’animateur de groupes d’analyse de pratiques |
Analyse de pratiques et explicitation | 24h | Deux sessions (2 jours + 2 jours) avec une intersession de 5 à 7 semaines |
– Les conditions à mettre en place pour faciliter la verbalisation sur l’action – Les techniques de questionnement pour faciliter la verbalisation sur l’action professionnelle (explicitation) – Postures, gestes professionnels et règles de métier de l’utilisateur de techniques d’explicitation des pratiques |
Analyse de pratiques et jeux de rôles | 18h | Deux sessions (2 jours + 1 jour) avec une intersession de 5 à 7 semaines |
– Les différents dispositifs d’analyse de pratiques fondés sur un jeu de rôles – Postures, gestes professionnels et règles de métier de l’utilisateur de jeux de rôles en analyse de pratiques |
Analyse de pratiques et vidéo | 18h | Deux sessions (2 jours + 1 jour) avec une intersession de 5 à 7 semaines |
– Les différents dispositifs d’analyse de pratiques fondés sur la vidéo – Postures, gestes professionnels et règles de métier de l’utilisateur de vidéos en analyse de pratiques |
Ce dispositif de formation de formateurs était organisé en modules pluriannuels, sans chevauchement de dates, pour que chaque formateur puisse se construire son parcours de formation à son rythme et en fonction de ses disponibilités ; l’absence de chevauchement a ainsi permis à certains de participer à deux modules dans une même année scolaire, d’autres préférant étaler leur participation sur plusieurs années.
Concernant les contenus de formation, le choix de faire de la posture un ouvrage à remettre constamment sur le métier, quel que soit le module suivi, s’appuyait sur un constat documenté par la recherche (Moussay et Serres, 2016). En termes d’engagement, ce qui motive un enseignant à devenir formateur, ce sont des enjeux personnels, probablement essentiellement symboliques (atteindre une certaine reconnaissance sociale), en investissant leurs ressources d’enseignants. Ce sont les savoirs et les compétences d’enseignant qui fondent les manières d’agir des formateurs d’enseignants, ce qui est cohérent avec le fait qu’ils ont été recrutés sur la base de leur expertise d’enseignant comme en témoignent Joelle Souchaud et Virginie Roche (Marzi, Roche et Souchaud, 2021). Or, la professionnalité du formateur ne se superpose pas à celle des enseignants. Par conséquent, l’appropriation ou le développement des compétences de formateur repose sur un prérequis, l’identification de la posture de formateur et sa différenciation d’avec celle d’enseignant.
3. Conception et formalisation du projet pédagogique
Ce parcours de formation a pour fil conducteur la distinction entre l’analyse de situations et l’analyse de pratiques et ses conséquences sur la posture de l’animateur de groupes d’analyse de pratiques et les techniques de questionnement qu’il utilise. C’est pourquoi, dans le stage « Analyse de pratiques en groupe », les apprenants travaillent d’abord sur le groupe d’entraînement à l’analyse de situations éducatives (GEASE, Étienne et Fumat, 2014) avant de se familiariser avec des techniques de questionnement inspirées de l’entretien d’explicitation, ce qui les fait passer de l’analyse de situations à l’analyse de pratiques. Cela permet de distinguer les deux modes de questionnement, celui utilisé dans l’analyse de situations et celui utilisé dans l’analyse de pratiques.
L’analyse d’une situation est beaucoup plus facile à réaliser que l’analyse d’une pratique parce la première est racontable non seulement par le sujet qui la vit mais aussi par celui qui l’observe ou l’étudie. Comme l’écrivent Étienne et Fumat « il s’agit donc d’élargir l’appréhension de la situation en multipliant les angles d’approche et en devenant capable de repérer concrètement ce qui correspond aux différentes approches » (Étienne et Fumat, 2014, p. 19). Le questionnement sur la situation porte alors sur les relations entre les personnes, les phénomènes de groupe et les déterminants institutionnels. Quant à la pratique, elle « ne renvoie pas immédiatement au faire et aux gestes, mais aux procédés pour faire », « contrairement à la perception commune et superficielle du terme, qui imposerait d’ailleurs l’identité entre connaissance pratique et connaissance commune » (Beillerot, 1996). Si, dans ces « procédés pour faire », ce qui relève de la réalité sociale et de la réalité psychosociale institutionnelle est accessible, cela ne paraît pas être possible pour ce qui relève de la réalité psychique que Beillerot considère comme inconsciente. Or, Vermersch a montré que ce qui, dans la réalité psychique du sujet, relevait des « procédés pour faire » n’était pas inconscient mais non conscientisé. « Il ne faut pas faire de confusion entre les savoirs formalisés déjà conceptualisés et les savoirs en actes qui restent à conscientiser quel que soit le niveau d’expertise de la personne » (Vermersch, 2006, p. 75). La pratique de l’entretien d’explicitation prouve qu’il est possible d’avoir accès à des informations sur le vécu de l’action d’un professionnel, bien que la plus grande part de ces « procédés pour faire » (règles d’action, prises d’information, etc.) restent implicites. Cela suppose la maîtrise de techniques de questionnement mises au point par Vermersch dans l’entretien d’explicitation et qui facilitent la verbalisation de ces aspects non conscientisés de l’action, techniques auxquelles il faut se former.
C’est pourquoi un module était prévu sur les techniques de questionnement propres à l’explicitation du vécu de l’action. Autrement dit, ce module constituait le point de passage obligé (voir les témoignages, Marzi, Roche et Souchaud, 2021), quel que soit le choix des autres modules (analyse de pratiques en groupe, utilisation du jeu de rôle en analyse de pratiques, utilisation de la vidéo en analyse de pratiques).
Ce parcours de formation met l’accent sur trois processus d’apprentissage, propres à l’adulte (Carré, 2015) : l’action, la réflexion sur l’action, l’interaction. C’est pourquoi la démarche pédagogique choisie a été celle de la didactique professionnelle (Pastré, 2011). En rupture avec une conception scolaire de la formation d’adultes, qui fait de la formation la préparation à l’application de procédures et qui dissocierait théorie et pratique (Mosconi, 2001), elle repose sur l’idée, empruntée aux travaux de Piaget, que le savoir est dans l’action[5] ; il ne la précède pas et l’action n’en est pas l’application. Le principe organisateur des différents modules est donc le suivant : apprendre des situations et par les situations. La modalité de travail est donc l’alternance entre des simulations aussi proche que possible du réel de l’activité professionnel (ce qui active deux processus d’apprentissage sur les trois, l’action et les interactions) et des débriefings (ce qui active le processus de réflexion sur l’action), les apports théoriques n’intervenant qu’après la confrontation à des simulations variées mais appartenant au même type.
- Poser le cadre de fonctionnement : éthique, déontologique, social.
- Laisser parler. Écouter. Ne pas s’impliquer quand l’autre parle.
- Définir ce que l’on cherche ensemble. Spécifier, délimiter la situation. Amener à la formulation d’une question.
- Questionner avec des questions ouvertes. Demande de précisions (s’appuyer sur des exemples).
- Balayer les différents champs de pertinence.
- Formuler des hypothèses à l’aide d’indicateurs.
- Laisser ouvert le champ des possibles.
Cette liste reflète ce qui constitue la culture commune du groupe à un moment de la formation. Elle donne des indications au formateur pour déterminer les apports qu’il va faire (concepts, modèles théoriques, savoirs méthodologiques, techniques, trucs et astuces, etc.).
En définitive, ce parcours de formation permet aux apprenants de faire l’expérience réfléchie de plusieurs simulations correspondant aux situations de travail qu’ils vont rencontrer en tant qu’animateurs de groupes d’analyse de pratiques. Plusieurs simulations sont nécessaires, jouant sur des variables différentes (l’effectif du groupe d’analyse de pratiques, la durée, l’annonce ou non au préalable d’un thème pour orienter le choix des témoignages, les supports, etc.).
4. Analyse de la formation : éléments facilitants et changements apportés au fil du temps
Un premier élément facilitant a été la formation « starter » que j’avais mise en place au moment du recrutement des formateurs-accompagnateurs des T1-T2 comme des référents du DAP. Ces deux dispositifs étaient structurés de la même manière : la première partie comprenait des journées consacrées à la découverte du dispositif de formation (T1-T2) ou d’accompagnement (DAP) et à l’initiation aux compétences de base en matière d’analyse de pratiques et de techniques d’entretien ; la deuxième partie comportait des journées consacrées à la relation éducative avec des adultes, que ce soit dans un contexte de formation ou d’accompagnement. Concernant l’analyse des pratiques, dans les deux cas, il s’est agi d’en présenter les principes et les limites mais aussi de faire découvrir quelques exemples de dispositifs : groupes d’analyse de pratiques professionnelles, jeux de rôles, analyse de pratiques par l’écriture, analyse de pratiques par la vidéo. À l’issue de cette formation, les participants avaient été interrogés sur leurs demandes d’approfondissement. Aucune demande ne fut recensée concernant l’analyse de pratiques par l’écriture. Ce module fut donc supprimé.
Un deuxième élément facilitant fut la mise en place d’une supervision dans les deux dispositifs (T1-T2 et DAP) : j’animais ces temps de supervision, non pas en proposant un espace de travail thérapeutique (pour lequel je n’avais aucune compétence), mais en proposant des espaces de travail centrés sur l’élucidation de la pratique (c’est-à-dire les règles d’action des animateurs de groupes d’analyse de pratiques), les apports techniques (éventuellement), la négociation/régulation de la supervision elle-même. Cela permit d’apporter des changements au parcours de formation. Au départ, je l’avais construit sur le même modèle que celui qui avait fait ses preuves à l’IUFM (Péaud, 2019) : un module de formation présentant les référents théoriques et les points de passage obligés de cette démarche de formation, des modules centrés sur des modalités ou des outils particuliers et un dispositif de supervision. Celle-ci permit de se rendre compte qu’un module sur les repères théoriques et la démarche n’était pas pertinent au regard des demandes des formateurs. J’avais négligé de revoir l’ingénierie compte tenu des caractéristiques du public (formateurs-accompagnateurs des néo-titulaires et référents DAP pour une grande part). Entre 1998 et 2010, à l’IUFM, la formation des formateurs ne pouvait pas commencer avant la mi-octobre ; dans ces conditions, les formateurs IUFM avaient déjà eu l’occasion d’animer des temps d’analyse de pratiques avec les enseignants-stagiaires. En 2016 et 2017 la situation était différente : les formateurs-accompagnateurs d’enseignants néo-titulaires et les référents DAP n’avaient pas commencé à animer des groupes d’analyse de pratiques avant la formation de formateurs dont il est question dans cet article ; au mieux, certains avaient l’habitude d’animer des temps d’analyse de situation (GEASE, analyse didactique). Dans le cas des formateurs de l’IUFM, commencer par les repères théoriques se justifiait car cela permettait de construire des catégories d’analyse de leur propre pratique d’animateurs de groupes d’analyse de pratiques. Les formateurs-accompagnateurs des enseignants néo-titulaires et les référents DAP avaient des demandes surtout centrées sur les techniques (comment faire ?) ; il semblait donc plus pertinent d’aborder les repères théoriques à partir de ces éléments techniques. Le stage sur les repères théoriques fut donc supprimé.
Dernier élément facilitant, le fait que la délégation académique à la formation des personnels accepta de mettre en place une ingénierie de formation agile (Debaecker, 2019) grâce à la volonté de Claude Fougère, le coordinateur qui avait la responsabilité logistique des deux dispositifs, Dans le cadre de la formation continue des enseignants, la démarche d’ingénierie de formation adoptée par les services du rectorat était une démarche « en cascade » avec des étapes à franchir, où il faut avoir terminé une étape avant d’attaquer la suivante : une fois terminée la campagne d’inscriptions aux modules de formation du plan académique de formation, il n’était plus possible de candidater et l’on passait à l’étape suivante (choix d’un lieu d’implantation pour le module de formation continue à destination des enseignants, puis édition des ordres de mission, etc.). La formation des formateurs était gérée de la même manière. Or, les formateurs d’enseignants avaient des contraintes fluctuantes qui affectaient leur disponibilité : en effet, la régulation des formations (annulation des formations continues d’enseignants ayant peu de candidats) se faisait une fois la campagne d’inscription terminée, si bien que la charge de travail d’un formateur pouvait être modifiée. Mais, dans une gestion « en cascade », il n’était plus possible d’inscrire des formateurs à une formation de formateurs alors qu’ils avaient des disponibilités non prévues au départ. En s’appuyant sur une démarche agile, qui donne la priorité à la satisfaction de l’usager et accueille favorablement les demandes de changement (tel formateur au départ non disponible pour participer à telle formation de formateurs peut le devenir), il devenait possible de faciliter l’accès aux formations de formateurs. Les inscriptions se faisaient « au fil de l’eau » sans tenir compte des dates de la campagne d’inscriptions ; l’inscription était possible quinze jours avant le début de la formation de formateurs. Ceux-ci pouvaient ainsi rendre compatible leur participation au parcours de formation avec les contraintes liées à leurs activités professionnelles de formateurs comme d’enseignants, contraintes pouvant fortement fluctuer selon le moment de l’année scolaire. Le calendrier de la formation des formateurs était communiqué en juin, ainsi les formateurs avaient-ils la possibilité de gérer au mieux leur calendrier.
5. Analyse de la formation : les effets produits
Le dispositif de formation qui vient d’être analysé n’a que peu à voir avec la formation continue dans sa forme traditionnelle où, la plupart du temps, un expert présente un contenu. Pour ce qui concerne la formation continue des enseignants, ce constat est récurrent depuis les années 1990 ; il suffit de comparer l’enquête faite par Altet en 1997 (Altet, 1999) et celle faite par Moussay et Serres (2016). Dans la formation d’adultes, en dehors de l’éducation nationale, les choses ont certes évolué : le modèle scolaire a été battu en brèche depuis les années 1990, notamment avec le succès de la didactique professionnelle ; la loi de 1971 sur la formation continue, qui ne prenait en compte qu’un seul format, le stage, a été remplacée par une nouvelle loi en 2018 (loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel) qui, à côté du format stage, reconnaît l’existence du format hybride et de l’AFEST (action de formation en situation de travail) dont la définition correspond à la démarche de la didactique professionnelle). Toutefois, même dans la formation d’adultes hors éducation nationale, les recherches portant sur les postures des formateurs montrent que le modèle scolaire reste prégnant (Carré, 2015) ; beaucoup de formateurs ont du mal à se sortir du schéma scolaire : exposé du contenu sous une forme ou sous une autre, puis mise en situation sous la forme d’application des contenus préalablement abordés, puis mise en commun tenant lieu de validation des bonnes pratiques.
Ce qui est au cœur du dispositif de formation de formateurs que j’ai mis en place entre 2017 et 2020, ce sont des mises en activité (simulations) aussi proches que possible du contexte professionnel (se former en animant des groupes d’analyse de pratiques et en y participant). Ces activités reposent sur des démarches collaboratives ; le collectif d’apprenants offre un contexte dans lequel chacun peut développer ses compétences.
Le développement des compétences repose sur la forme d’apprentissage sans doute la plus ancienne qui soit, apprendre par et dans l’activité en vivant un temps d’analyse de pratiques. Cette activité est d’abord une « activité productive » (Samurçay et Rabardel, 2004) : une tâche de formation est une activité de transformation, puisque le résultat attendu est un changement de compréhension d’une situation vécue, préalable indispensable à une modification des pratiques. Dans la formation des formateurs que j’ai mise en place, il ne s’agit pas de travailler sur une situation professionnelle vécue qui est exposée pour être travaillée, comme s’il s’agissait uniquement d’un temps d’analyse de pratiques ; il s’agit de vivre une situation d’analyse de pratique (simulation) et d’analyser réflexivement ce qui a été vécu au cours de ce temps de formation (débriefing). Par exemple, pendant la formation aux techniques d’explicitation se succèdent des temps au cours desquels les participants sont tour à tour en position de questionner et d’être questionné ; le fait de vivre (comme questionneur, questionné ou observateur) un temps d’analyse de pratiques est indispensable pour qu’il y ait ensuite une modification de la compréhension de la situation vécue (questionner pour analyser une pratique).
- un processus d’apprentissage portant sur des savoirs professionnels acquis dans des activités professionnelles,
- un processus d’évolution d’une identité professionnelle.
Or, le fait de concevoir un dispositif de formation dans une logique de didactique professionnelle amplifie ces deux processus. La didactisation des situations professionnelles durant la formation développe le potentiel d’apprentissage de ces situations dans le quotidien de la pratique professionnelle. Le témoignage de Joelle Souchaud montre que les apprentissages réalisés ont débordé le cadre de ses activités de formatrice ; elle a mobilisé de façon pertinente dans ses pratiques d’enseignante les savoirs qu’elle avait construits en suivant différents modules du dispositif de formation. Quant à Virginie Roche, son témoignage montre que ce parcours de formation a aussi débouché sur des ajustements de pratique, notamment à propos de l’importance de l’espace et du corps (Marzi, Roche et Souchaud, 2020).
Cette même dynamique s’observe dans l’évolution de l’identité professionnelle. Si, pour Virginie Roche, le développement de compétences en matière de questionnement a modifié sa posture (passage d’une posture de guidage à une posture d’accompagnement), Joelle Souchaud a développé une plus grande acuité sur son métier d’enseignante, modifiant notamment son sens de l’écoute (Marzi, Roche et Souchaud, 2020).
Toutefois, le caractère soutenant de l’environnement professionnel est très important pour la permanence de ce processus de développement professionnel (Wittorski, 2007). Les témoignages d’Emmanuel Marzi et de Virginie Roche l’attestent. Le contexte professionnel dans lequel évolue Emmanuel Marzi ne lui a pas permis d’approfondir sa maîtrise des démarches construites au cours des formations suivies. Virginie Roche regrette l’absence de supervision (Marzi, Roche et Souchaud, 2020).
Sur ce point, il faut noter que la délégation académique à la formation des personnels n’a pas maintenu la supervision pour les formateurs du dispositif T1-T2. Seule celle mise en place pour les référents du DAP a été maintenue, choix justifié par la nécessité d’épauler ces derniers, compte tenu de l’impact psychologique lié à l’accompagnement de personnels en difficulté ; cette supervision est assurée par un psychologue et porte sur les phénomènes de transfert et de contre-transfert. Si bien que, pour les autres formateurs ayant suivi le parcours de formation, rien n’a été fait pour soutenir leur développement professionnel.
J’ai pu mesurer cette importance dans mon évolution personnelle (Péaud, 2019). J’ai été recruté comme formateur en 1994, à l’époque où la formation continue des personnels enseignants relevait de la mission académique à la formation des personnels de l’éducation nationale (MAFPEN) ; le responsable de la mission avait accepté que les animateurs des premiers groupes d’analyse de pratiques implantés dans l’académie de Poitiers puissent se réunir pour analyser collectivement la manière dont ils incarnaient leurs propres savoirs pratiques d’animateurs.
6. En guise de conclusion… qu’en est-il aujourd’hui ?
Le dispositif que j’ai mis en place a cessé d’exister à la rentrée 2020. Avec l’arrivée de la nouvelle rectrice, une réorganisation en profondeur de la formation continue a eu lieu. La formation des formateurs existe toujours sous la forme d’un parcours de formation, mais sous une autre forme : un module aborde l’analyse de pratiques en la liant à l’observation de pratiques ; autrement dit, la formation à l’analyse de pratiques s’adresse désormais aux tuteurs d’enseignants (maîtres formateurs dans le premier degré, conseillers pédagogiques tuteurs dans le second degré).
Références bibliographiques
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Carré, P. (2015). De l’apprentissage à la formation. Pour une nouvelle psychopédagogie des adultes, Revue française de pédagogie, 190, 29-40.
Debaeker, J. (2019). Design Thinking et ingénierie de formation. Communication présentée au colloque Éducation 4.1 ! organisé par l’EIFAD et la revue Distances et Médiations des Savoirs, Poitiers. Récupéré le 16 octobre 2020 du site : https://education4-1.sciencesconf.org.
Étienne, R. et Fumat, Y. (2014). Comment analyser les pratiques éducatives pour se former et agir. Bruxelles : de Boeck.
Lefeuvre, G., Garcia, A. et Namolovan, L. (2009). Les indicateurs de développement professionnel, Questions vives, 5(11), 277-314.
Marzi, E., Roche, V. et Souchaud, J. (2021). Témoignages sur le parcours de formation à l’animation de groupes d’analyse de pratiques professionnelles dans l’académie de Poitiers (2017-2020). In Revue de l’analyse des pratiques professionnelles, 19, 163-167. https://www.analysedepratique.org/?p=4415.
Mosconi, N. (2001). Que nous apprend l’analyse des pratiques sur les rapports de la théorie à la pratique ? In C. Blanchard-Laville et D. Fablet (Eds.). Sources théoriques et techniques de l’analyse des pratiques professionnelles (pp. 15-34). Paris : L’Harmattan.
Moussay, S. et Serres, G. (2016). Apprendre à devenir formateur d’enseignants : vers une nouvelle professionnalité, dans V. Lussi Borer et L. Ria, Apprendre à enseigner (pp. 209-220). Paris : P.U.F.
Pastré, P. (2011). La didactique professionnelle. Approche anthropologique du développement chez les adultes. Paris : P.U.F.
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Samurçay, R. et Rabardel, P. (2004). Modèles pour l’analyse de l’activité et des compétences. Propositions, dans R. Samurçay et P. Pastré, Recherches en didactique professionnelle (pp. 163-180). Toulouse : Octarès.
Schön, D. A. (1994). Le praticien réflexif. À la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Montréal : Les Éditions Logiques. (Première édition en anglais, 1983).
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Vermersch, P. (2006). L’entretien d’explicitation (5e éd.). Issy-les-Moulineaux : ESF sciences humaines.
Wittorski, R. (2007). Professionnalisation et développement professionnel. Paris : L’Harmattan.
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Notes
[1] CAFIPEMF : certificat d’aptitude aux fonctions d’instituteur ou de professeur des écoles maître formateur.
[2] CAFFA : certificat d’aptitude aux fonctions de formateur académique.
[3] Les deux autres étaient centrés sur l’actualisation des connaissances à propos des sciences et des techniques de la formation et sur des thématiques en lien avec la réforme des collèges, qui venait de se mettre en place.
[4] Institut universitaire de formation des maîtres, aujourd’hui appelé Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPÉ).
[5] « L’un des deux principaux résultats de nos recherches, à côté de l’analyse de la prise de conscience comme telle, est de nous montrer que l’action à elle seule constitue un savoir autonome et un pouvoir déjà considérable » (Piaget, 1974, p. 275). Cette idée sera retravaillée par Vergnaud dans le cadre de la formation d’adultes (Vergnaud, 1996) et inspirera ensuite les recherches de Pastré.