Article collectif

Avec les contributions de Laurent Lebrun, Dominique Lefeuvre, Caroline Bell, Blandine Bousquet, Marc Thiébaud, Alain Cartigny, Marie France Soubrier, Pierre Cieutat, Guillaume Villain

 

Résumé

Ce texte présente des témoignages et réflexions en lien avec des séances d’analyse de pratiques (APP) à distance. Ils sont issus d’échanges développés au sein du réseau GFAPP (groupe de formation à et par l’analyse de pratiques professionnelles). Ils mettent en évidence l’utilité d’offrir des possibilités d’APP par visioconférence notamment lorsque les rencontres en présentiel ne sont pas possibles. Les témoignages évoquent en particulier les précautions utiles à prendre et les aménagements qu’il peut être nécessaire et profitable d’opérer par rapport aux APP en présentiel.

Mots-clés 

visioconférence, distance, animation, communication

Catégorie d’article 

Témoignage

Référencement 

Collectif (2020). Expériences vécues en analyse de pratiques à distance : témoignages et partages sur le réseau GFAPP. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 17, pp. 5-22. http://www.analysedepratique.org/?p=3740.

 


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Experiences in remote practice analysis: testimonies and shares on the GFAPP network

Abstract

This text presents testimonies and reflections related to remote practice analysis sessions (PPA). They are the result of exchanges developed within the GFAPP network (group for training in and through the analysis of professional practices). They highlight the usefulness of offering PPA opportunities through videoconferencing, especially when face-to-face meetings are not possible. In particular, the testimonies mention the useful precautions to be taken and the adjustments that it may be necessary and beneficial to make in relation to face-to-face PPAs.

Keywords

videoconferencing, distance, animation, communication


 

Les témoignages et réflexions ci-après sont constitués d’échanges développés en avril 2020 au sein du réseau GFAPP autour de l’analyse de pratiques professionnelles (APP) à distance. Ces échanges ont été initiés par des questions soulevées par Laurent Lebrun. Ils sont présentés dans le respect de leur chronologie et quasi sans modification (si ce n’est la suppression des formules de politesse ou de propos abordant d’autres aspects). Les contributeurs en ont accepté après coup la publication telle quelle, alors qu’ils avaient produit leurs réflexions sans penser que celles-ci pourraient être publiées. L’équipe éditoriale a souhaité conserver un texte qui témoigne de la spontanéité qui a prévalu dans l’écriture, étant entendu qu’un soin différent aurait pu y être apporté si l’idée d’une publication avait été envisagée au moment où les échanges ont été initiés.

Laurent Lebrun
laurent.lebrun27@gmail.com

Je suppose que comme moi, une grosse partie, voire la totalité, de votre activité APP est annulée depuis presque un mois.

Cette semaine, je pressentais que le temps et le besoin de la parole allaient revenir après un mois où les organisations, les directions et les équipes de terrain ont dû s’organiser en urgence, assurer la continuité du service et trouver des nouveaux repères dans les postures professionnelles. Et hier, un collectif que j’accompagne m’a demandé d’organiser à distance une séance APP. Je ne suis pas un spécialiste et encore moins un adepte de cette forme de communication et d’accompagnement. Depuis des années, je refuse même de m’y intéresser.

Je me suis familiarisé un peu avec zoom et je dois admettre et reconnaître que les deux séances ont été de qualité. Cela fait bouger les lignes chez moi et c’est très bien.

Pour autant, je me pose quelques questions sur la façon d’animer et guider le groupe à travers l’écran. C’est pourquoi je vous sollicite. Avez-vous des expériences APP menées à distance ?

Si oui, quelles sont les vigilances et protections à mettre en place ? Quelles seraient les « erreurs » à ne pas faire ? Comment faire l’inclusion en début de séance ?

Dominique Lefeuvre
dolefeuvre@orange.fr

La situation actuelle amène à reconsidérer certaines positions comme l’utilisation de la visio-conférence en période de confinement. J’ai une expérience limitée en APP à distance et quelques réunions à distance.

Des règles simples de prise de parole sont à poser ou convenir pour s’adapter à ce mode de communication moins fluide : lever la main pour solliciter la parole avec des interventions courtes.

Les deux premiers temps de l’APP ont une grande importance : le temps de la technique afin que tous les participants aient pu se poser dans un endroit où la lumière, le cadrage, l’audition, le fonctionnement de l’application soient apprivoisés. Puis ce premier temps que vous nommez peut-être « inclusion », ces premiers échanges plus ou moins formels où chacun s’exprime et fait groupe.

J’ai été surpris de la facilité de certaines personnes à décrocher et s’absenter des échanges et quitter le champ de la web cam. De fait, porter une attention constante exige une concentration que chacun maintien ou non.

En période de confinement, la visio-conférence s’impose comme une évidence pour ne pas « laisser tomber » ou de côté des équipes en attente et en demande de paroles sur leur pratique. L’envisager en relai ponctuel avec un groupe qui a déjà travaillé ensemble est une étape, j’hésiterai face à une demande d’usage exclusif de visioconférence. C’est un outil amené à être apprivoisé dans d’autres contextes que l’APP.

Caroline Bell
catheo@icloud.com

L’utilisation de la visioconférence pose le problème de la confidentialité et de la gestion des données… Tout est archivable, traçable sur la toile… Il convient de choisir des outils institutionnels, s’ils existent, afin de garantir que le flux des données soit crypté et que ces données ne soient pas conservées. Du coup, éventuellement des soucis avec Zoom ou d’autres, sauf s’ils sont intégrés et autorisés par votre institution. Les outils doivent être conformes au Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).

Voici quelques points posant questions de la politique RGPD de Zoom :

  • Les données ne sont pas vendues
  • Possibilité d’enregistrer les données et de les stocker sur leur Cloud
  • Collecte de l’adresse IP et des caractéristiques du système d’exploitation
  • Ils se disent conformes à la loi américaine quant à la protection des données

Ces dernières semaines, il semble que cette société ait été la cible de hackeurs qui revendent ensuite sur le dark web les données recueillies.

Même si un outil est conforme, le fait d’adresser un lien de connexion par message privé ouvre le risque du piratage…

Autre question soulevée : le cadre donné à l’APP peut se faire dans un milieu non professionnel, et du coup se pose la question de la confidentialité également.

Il est possible à chaque utilisateur d’enregistrer la visio. Bien sûr, cela peut se faire si l’ensemble des participants sont informés et donnent leur accord, éventuellement dans l’optique de la méta-analyse…

Blandine Bousquet
b.l.bousquet@wanadoo.fr

Étant donné le contexte, j’ai animé quelques séances d’APP et supervision en « visio » ces derniers temps. J’ai été surprise que cela fonctionne aussi bien, venant ainsi bousculer quelques-unes de mes croyances.

J’ai utilisé Zoom et Skype et ajouté 10 minutes en amont des séances pour les ajustements techniques. J’étais assez tendue au démarrage des deux premières séances, craignant de ne rien maitriser de ces aspects techniques, or Zoom est très facile d’utilisation (payant). Maintenant je me sens à l’aise.

J’ai pris un peu de temps pour poser le cadre en rappelant que ces systèmes ne sont pas sécurisés mais que les informations que nous allions échanger avaient sans doute peu d’intérêt là-bas dans la Silicon Valley ; toutefois il est sans doute préférable de fermer toutes les applications ouvertes et d’utiliser un PC pro. Mais à lire le mail très éclairant de Caroline cela me donne des infos plus précises.

Je conseille aux participants de s’installer à l’écart, au calme et demande de fermer les micros lorsque l’on ne s’exprime pas. Je propose à ceux qui le souhaitent de fermer de temps en temps leur caméra si celle-ci les dérange en envoyant un message écrit au groupe pour prévenir (facile dans la barre de Zoom sous les images). « Je coupe mon image quelques instants mais je suis présent ». Il est arrivé deux fois que des personnes aient souhaité s’exprimer caméra éteinte, pour moi c’est ok.

J’ai eu de 2 à 10 personnes dans mes groupes et cela s’est très bien passé. Les participants se coupent beaucoup moins la parole qu’en présentiel. Mais je dois dire que toutes les personnes que j’ai eues jusqu’à présent étaient volontaires. Je pense que je n’animerai pas un groupe d’APP en visioconférence avec des personnes ne souhaitant pas être là.

Un peu de créativité est nécessaire pour les inclusions ; pour ma part j’ai fait appel aux métaphores : « si j’étais un paysage aujourd’hui, à l’instant où je parle, ce serait … et pourquoi » (par exemple).

Sur une séance d’APP où les personnes étaient surtout très heureuses de se retrouver entre collègues et n’avaient pas de sujet autre que l’envie de partager, j’ai proposé une « inclusion inclusive » qui a duré l’ensemble du temps de la séance.

Quelques minutes au narrateur A pour s’exprimer sur son état, sa situation – les autres écoutent sans intervenir – puis chacun réagit tour à tour sur les propos de A sans jugement, sans opinion mais en disant ce qui l’a touché, ce qui a capté l’attention et ce que cela nous dit de ce à quoi A accorde de la valeur dans sa vie.

Puis, qu’est-ce que ces mots et expressions entendus ont éveillé en nous dans notre propre histoire personnelle.

Puis A exprime ce qui l’a ému, touché, intéressé dans ce qu’il a entendu.

C’est un très bel exercice mais il faut être vigilant sur le cadre, sur la gestion du temps aussi. Tout le monde s’exprime. La formulation des questions au collectif doit être claire. Les règles sont posées en amont. Cet exercice est inspiré des Pratiques Narratives et plus particulièrement des questions posées aux témoins extérieurs dans les cérémonies définitionnelles (White, M. (2009). Cartes des pratiques narratives. Le Germe pp. 195-196).

Si l’exercice intéresse certains d’entre vous, je peux le partager avec plus de précision mais encore une fois cela prend beaucoup de temps et donc oubliée l’APP !!! C’est possible dans certaines situations avec un groupe assez avancé et pas nombreux (pas plus de 6 personnes). C’est la description de ton groupe, Laurent, qui m’a fait penser à cela.

Dans le cas d’une simple inclusion, le Covid étant dans tous les esprits, je lui laisse une place en début de réunion. En APP, le covid est au cœur des échanges par le biais du confinement ou la peur des personnes sur le terrain ou leur difficulté à travailler ou le manque de matériel de protection etc. Et le deuil aussi parfois.

L’accueil des émotions est plus difficile à distance.

Marc Thiébaud
marc.thiebaud@net2000.ch

Mon expérience des séances d’APP à distance date d’il y a un an… et je me demandais, avant le chamboulement que l’on vit actuellement, si j’allais les développer davantage. J’étais hésitant, je désirais explorer certaines possibilités (déjà pour réduire mon/notre empreinte CO2), mais je ne sentais pas encore que c’était mûr, ni à mon niveau, ni en ce qui concerne les participants des groupes que j’anime. Maintenant, avec le Covid-19, cette question ne se pose plus. J’ai eu des séances d’APP à distance récemment et des séances sont prévues dans les semaines à venir.

Mais cela soulève pour moi d’autres questions.

1)

Dans une APP en présentiel, beaucoup de choses peuvent être vécues, communiquées, réalisées, qui ne sont pas possibles à distance.

Qu’est-ce que cela implique ? Qu’est-ce qui sera différent que je dois apprendre à accepter ?

Dans les groupes que j’anime, on travaille beaucoup en intelligence collective, la parole circule librement entre les participants, elle rebondit fréquemment, ouvrant de nouvelles perspectives… il est difficile de vivre la même expérience à distance, dès que l’on est davantage que trois ou quatre personnes. On peut cependant se concerter sur différentes manières de procéder, faire un geste pour signaler que l’on veut prendre la parole. On peut aussi convenir que l’on va s’exprimer, pour commencer, chacun une fois, dans une parole en tour « de table » qui peut se prendre au moment où chacun le sent.

On mobilise bien davantage que la parole : le mouvement dans l’espace, le jeu de rôle, l’utilisation de dessins, schémas, cartes-images, objets, ainsi que des échanges en duos ou en sous-groupe, etc. Il faut pratiquement aussi y renoncer en travail à distance.

Nous nous rencontrons généralement sur une demi-journée ou une journée pleine… pas envisageable à distance. Je propose deux heures à 2h30, c’est un maximum je trouve.

Un travail sur une certaine durée en présentiel favorise une intensité, une implication émotionnelle, des approfondissements, des mises en lien, des analyses « méta ». Cela me tient à cœur et tient à cœur aussi aux participants. Il nous faut accepter que c’est plus limité en visioconférence.

Dans mes animations, je me fie beaucoup à la dynamique du groupe, à ce que je sens qui passe comme énergie dans le groupe (c’est un ressenti physique), à toutes les communications non verbales avec et entre les participants, qui vivent beaucoup de liberté et de spontanéité dans le groupe. En travail à distance, je dois y renoncer en partie, mon animation est plus structurée, guidée. Nous pouvons cependant aussi réguler au fur et à mesure et nous méta-communiquons davantage par la parole.

On s’adapte. Pour moi, ce cheminement se fait peu à peu… je vois que les séances d’APP à distance ne permettent pas seulement de rester en lien, elles ont aussi des aspects positifs ; à mesure que j’en accepte les limites, cela laisse de la place pour développer d’autres choses…

2)

Cette situation totalement inédite que nous vivons est aussi une opportunité pour explorer d’autres manières de faire. C’est très stimulant d’expérimenter des modalités de travail que l’on n’aurait peut-être pas imaginées dans les groupes que j’anime.

Qu’est-ce qu’il est bénéfique de développer autrement dans une séance à distance ?
En quoi vaut-il la peine d’innover ?

Ma réflexion fait écho notamment à ton témoignage Blandine. J’ai bien apprécié de lire l’expérience de partage et d’écoute, à tour de rôle, que tu as proposée dans ton groupe ! Il y a beaucoup de manières d’envisager une séance à distance… d’improviser aussi en fonction de ce que les participants apportent comme préoccupations. Cela rejoint mon intérêt pour travailler différentes modalités en complémentarité dans les groupes que j’anime. Notamment en combinant l’accompagnement d’un exposant (qui reste la manière la plus fréquente pour moi, en visio comme en présentiel) + les échanges de pratiques et d’expériences.

J’animais l’autre jour en visioconférence un groupe de cinq accompagnants d’élèves en difficultés en milieu scolaire. Les participants ont apprécié de pouvoir exprimer, chacun, les préoccupations qui les habitent par rapport à la manière dont ils peuvent envisager leur rôle maintenant à distance. Cela a commencé par une demande apportée par une participante. Nous l’avons écoutée. Puis après deux ou trois questions de clarification, cela s’est poursuivi dans un partage entre tous, qui a suscité de nombreuses ouvertures. Nous n’avons pas procédé à une analyse spécifique de la pratique d’une exposante. Mais après l’échange, chacun a apporté un retour réflexif sur sa pratique.

A un autre moment, par rapport à une situation difficile apportée par une participante à distance, nous avons passé beaucoup moins de temps qu’habituellement à explorer ses vécus et sa pratique… mais nous avons plutôt « brainstormé ». D’abord sur tous les défis que pose cette situation ; puis sur différentes options qui pourraient être explorées et expérimentées. Moins d’hypothèses de compréhension approfondies, mais davantage de partages créatifs je dirais. Les participants étaient très satisfaits et leurs réflexions en fin de séance montraient que cela les avait également conduits à analyser leur pratique.

Pour faciliter la communication, j’ai tendance en visioconférence à inviter les participants à identifier rapidement des angles ou des dimensions d’analyse que l’on va privilégier… ce qui donne des points de repère pour le partage des hypothèses et analyse. Dans ce travail à distance, je perçois aussi que des pauses réflexives, quelques minutes, en individuel, sont bienvenues, elles reposent aussi par rapport à la communication.

Cela peut prendre d’autres formes parfois, riches, apprenantes, à développer, à inventer…

3)

J’en viens progressivement à me dire que le travail à distance ne fait pas qu’enlever quelque chose au présentiel. Il pourrait s’inscrire en complémentarité. Quand je pense au futur, je me pose maintenant la question :

Qu’est-ce qui peut favoriser un enrichissement mutuel entre analyse de pratique en présentiel et à distance ?  Comment penser leurs potentielles complémentarités ?

Laurent Lebrun
laurent.lebrun27@gmail.com

Merci à ceux et celles qui ont répondu à ma sollicitation. Elle portait sur les vigilances à avoir pour animer une séance APP à distance. Je vous fais maintenant un retour de ma séance à distance.  J’ai senti que j’avais autant à partager sur mon propre cheminement avant la séance que de la séance elle-même. Pas pour parler de moi à partir d’un endroit d’égo mais pour partager comment j’ai cheminé afin d’effectuer la bascule et trouver une posture ok.

Un collectif de travailleurs sociaux m’a demandé il y a deux semaines s’il était possible de mettre en place une séance d’APP à distance. Le groupe est composé de 7 professionnels que les accompagne depuis six mois à raison d’une séance toutes les 6 semaines. Je ne m’attendais pas à cette sollicitation. Pourtant, j’ai répondu : « volontiers, j’organise cela via la plateforme Zoom ». Je ne m’y attendais d’autant pas car je suis au départ quelqu’un qui ne conçoit pas l’accompagnement à distance et encore moins lorsqu’il s’agit d’un groupe. Une croyance forte chez moi depuis longtemps est que seul un accompagnement physique, de proximité, peut être de qualité. Néanmoins, j’ai accompagné deux personnes pour une séance de coaching à travers l’écran et elles étaient satisfaites du travail réalisé. Moi, pas totalement.

Au-delà de mes limites techniques liées à l’informatique et du peu d’intérêt que je porte à l’outil ordinateur, je faisais une liste de tout ce qui peut manquer dans le distanciel et ce à quoi je suis particulièrement sensible :

  • le travail plus fin sur la gestion des émotions lorsqu’elles s’expriment ;
  • l’expression corporelle et la communication non verbale qui donnent des indications lorsque les mots ne viennent pas ou ne suffisent plus ;
  • la dimension transférentielle et contre-transférentielle ;
  • les regards qui s’appellent et qui parlent de la constitution du groupe et de sa dynamique ;
  • les différentes interactions entre les participants et moi-même ;
  • les indices de saturations et de décrochage ;
  • ne pas pouvoir utiliser les outils tels que le photolangage, les figurines, les jeux de rôle ;
  • et si la connexion est mauvaise et qu’il y a des bugs.

Et aussi tout simplement :

  • se dire bonjour en se serrant la main ;
  • boire le café et le thé ensemble ;
  • partager les chouquettes en début de séance ;
  • sentir l’ambiance et les odeurs du lieu ;
  • faire le trajet entre chez moi et l’établissement (moment si important de centrage et de préparation pour moi) ;
  • etc.

Même si je réponds vite positivement, je sais que je le fais aussi pour certaines raisons :

  • la demande vient de l’équipe et montre l’intérêt qu’elle porte au dispositif ;
  • l’effectif de 7 personnes est raisonnable ;
  • j’ai un bon lien avec chacune d’entre elles, l’alliance s’est vite construite avec ce collectif ;
  • je sais qu’ils me font confiance ;
  • ils vivent depuis quelques mois dans un contexte difficile et ils ressentent du découragement par rapport à certaines situations qu’ils rencontrent de plus en plus souvent.

Nous avons donc programmé la séance, j’ai pris un abonnement professionnel chez Zoom… puis, j’ai vite été rattrapé par une forme d’appréhension. Je me suis mis une pression forte. Mon mental m’a ramené plusieurs fois à la rencontre de mon censeur intérieur. Et qu’est-ce qu’il me disait mon censeur ?

  • Laurent, tu ne maîtrises pas assez bien toutes les fonctionnalités de Zoom ; tu ne sauras pas les guider s’ils rencontrent des problèmes techniques.
  • Tu vas rater plein de petits moments essentiels auxquels tu n’auras pas accès à travers l’écran et qui sont tellement révélateurs.
  • Tu dois préparer et travailler davantage la séance en amont pour gérer la réunion de façon optimale.

Et mon syndrome de l’imposteur qui en rajoute un peu du genre : « et tu es qui toi pour t’autoriser à accompagner à distance. Tu n’as ni la compétence, ni l’expérience ».

Bref, quelques moments entre moi et moi pas faciles et dont j’avais du mal à m’extraire. Qu’est ce qui m’a fait basculer ? Une balade en forêt avec mon épouse à qui j’ai demandé de l’aide et du soutien. J’avais à lâcher prise. Je devais accepter que la séance puisse être différente, que je ne maîtrisais pas grand-chose à l’avance. Accepter que je ne vais peut-être pas être au top mais un excellent débutant dans ce mode d’accompagnement. Accepter de faire des erreurs, les reconnaître et les partager si nécessaire. Accepter que la séance sera ce qu’elle sera, à savoir, soit un réel temps d’APP mais peut-être seulement (et c’est suffisant) un temps de partage entre eux sur l’actualité, la situation liée à la crise sanitaire, leur façon de vivre et traverser cette période.

Être prêt et disposé à tout accueillir finalement et laisser de côté le protocole et la structuration « classique » des séances. Être ok avec le fait que le cadre « habituel « que je pose ne serait peut-être pas respecté voire même bousculé. Lâcher avec mes attentes, ne pas me fixer d’objectifs. Être là et pleinement là, présent et disponible à eux.

J’ai de la gratitude pour cette balade et de la reconnaissance pour mon épouse qui était au jute endroit pour m’accompagner et me faire switcher dans une perspective agréable et joyeuse de retrouver ce groupe et de me mettre à sa disposition.

Une fois cette bascule opérée chez moi, mes idées étaient claires. Je leur ai envoyé un mail pour leur signifier combien j’étais ravi de les retrouver et les féliciter d’avoir pris cette initiative et formuler leur demande. Je leur ai précisé que c’était une première pour moi et que j’avais confiance que nous réaliserions une bonne séance quel que soit les sujets et ou thématiques abordées. J’ai rappelé le 4ème accord Toltèques nous invitant à faire de notre mieux.

Je les ai invités à se mettre dans les meilleures conditions possibles pour cette séance (deux étaient sur leur lieu professionnel et les cinq autres à leur domicile).

Je leur ai proposé de prendre un temps en début de séance pour poser quelques règles facilitant la fluidité et la circulation de la parole. Je les ai invités aussi à se munir d’une feuille et d’un stylo (ce que je ne fais jamais) et de me contacter s’ils avaient des problèmes techniques. C’est vous dire les autorisations que je me suis données.

Le jour dit : je lance la réunion pour être le premier et accueillir les participants.  Deux personnes sont déjà là en attente. Nous nous saluons et nous nous sourions. Quatre autres arrivent très rapidement. La dernière a des soucis de connexion. Nous l’entendons mais sa caméra ne s’active pas. Le groupe lui donne quelques conseils techniques en vain. 15 minutes passent à régler cette difficulté. Accepter de « perdre « et prendre le temps pour que tous soient là, visibles à travers l’écran.

La technique étant résolue, je leur propose un temps d’inclusion et de météo du jour orienté autour des points suivants :

  • Comment allez-vous ?
  • Comment vivez-vous la situation actuelle (sans préciser si c’est dans le cadre professionnel ou personnel) ?
  • D’où parlez-vous (ce n’est pas neutre d’entrer en partie dans l’intimité du domicile) ?
  • Qu’attendez-vous de cette séance ? Quels sont vos besoins et attentes ?

Volontairement, je décide de ne pas donner d’indications de temps pour cette première étape, prêt à laisser chacun s’exprimer sans se sentir limité ni dans ses propos, ni dans la durée. Finalement, chacun s’exprime à tour de rôle assez facilement et rapidement. Je sens déjà que chacun est présent, disponible et à l’écoute. Ils expriment tous le plaisir qu’ils ont de se voir et de s’entendre. Il y a trois sujets de travail exprimés dont un qui est prioritaire car il porte sur l’insécurité que vivent plusieurs d’entre eux dans le cadre de leurs missions et des différentes formes d’agressions qu’ils ont vécues.

Je prends la parole pour proposer une synthèse de ce que j’ai entendu (feed-back groupal). Avant de laisser chacun s’exprimer, je leur propose de poser quelques règles pour que nos échanges et modes de communication soient dynamiques et agréables pour chacun. Nous retenons les règles suivantes :

  • chacun s’exprimera s’il le souhaite ;
  • la personne qui veut prendre la parole lève la main pour le signifier ;
  • quand j’ai terminé de parler, je dis « j’ai fini » ;
  • le groupe demande à ce que ce soit moi qui « dispatche » la parole ;
  • nous ferons au moins deux pauses de 10 minutes.

Je fais ensuite un rapide retour sur la question de la confidentialité partageant, entre autres, que cette plateforme n’est pas la plus réputée pour sa sécurité et qu’en même temps le risque est faible.

Le sujet apporté, lié au vécu et au sentiment d’insécurité sur le lieu de travail, mérite que chacun partage concrètement les formes d’agression qu’il a subi. Je leur propose tour à tour de mettre en mots (et d’une certaine façon en maux) leurs expériences respectives. A partir de là, la séance s’installe dans un protocole assez classique (dans une perspective proche du codéveloppement que j’utilise volontiers). Cela s’est mis en place presque naturellement.

  • Expression individuelle libre sans réaction des membres du groupe
  • Définition collective de ce que le groupe souhaite questionner à partir de ce thème
  • Réflexion, analyse, hypothèse, confrontations partagées collectivement
  • Incidences sur les pratiques et postures professionnelles
  • Pistes et options d’actions possibles

La parole circule facilement et tous participent. Ils sont concentrés, respectueux les uns des autres et bienveillants entre eux. Je sers de chef d’orchestre certainement comme un réalisateur aux manettes dans son car-régie pour la retransmission d’un évènement sportif. Mon œil balaie rapidement et constamment les différents écrans afin de m’assurer que ceux qui veulent témoigner puisse le faire. Je relance par une question ouverte à partir des mots et expressions entendues en les invitant à utiliser le « je « et non le « nous « ou le « on ».

La séance se déroule bien et vite. En fonction du temps qui passe, je reste vigilant à ce que les différentes étapes de mon protocole s’articulent et s’enchainent logiquement. Finalement, nous ferons qu’une seule pause de cinq minutes, personne n’en réclamant une seconde et moi n’y pensant même plus à la proposer. Le travail et la réflexion sont de qualité. Ils envisagent plusieurs démarches à mettre en place et se mettent d’accord sur la manière dont ils vont interpeler leur responsable.

Je leur signifie que l’heure avançant, nous allons bientôt clôturer la séance. Je leur demande de partager comment et avec quoi ils repartent. Ils sont tous satisfaits, surpris qu’il soit déjà le temps de se séparer. Ils ont tous senti la solidité de l’équipe et sont rassurés sur leurs capacités d’entre aide même à distance. Ils ont apprécié que je ne les laisse pas s’engouffrer dans la plainte et la critique envers leur direction pour pouvoir se responsabiliser de nouveau, être acteur et force de propositions. Cinq d’entre eux disent qu’ils appréhendaient finalement la séance à distance mais qu’ils l’ont bien vécue. Il y a des sourires sur chaque visage et ils prennent le temps de se dire au revoir en faisant des signes de la main.

Et en ce qui me concerne : j’étais particulièrement fatigué à l’issue de la séance alors que dans le même temps il me semble que je suis resté davantage en retrait, laissant encore plus que d’habitude le groupe cheminer et réfléchir sur la thématique abordée. Je ne me suis pas senti stressé. Je me sentais de mieux en mieux au fur et à mesure du déroulement de la séance.

Où j’en suis trois jours après ?

Déjà, j’appréhende différemment la séance avec un autre groupe qui aura lieu prochainement. Je vais rester dans le même état d’esprit tout en accueillant l’idée que cela pourrait se passer différemment. J’apprécie le chemin que cela me fait faire et de m’ouvrir à des possibles que je n’imaginais pas. Je n’ai pas l’intention de devenir un « expert » de la relation et de l’accompagnement à distance. En revanche, je suis en train de faire de la place à cette façon de faire et de l’intégrer comme un outil, une technique, une approche supplémentaire et complémentaire à ma pratique et ma posture professionnelle.

Je mets de l’intérêt, du sens et de la valeur à cette forme d’accompagnement. Et je sais qu’en faisant ce travail pour moi, à l’intérieur de moi, les autres s’y engageront d’autant plus aisément.

La résolution du problème est d’abord à faire chez moi plutôt que d’imaginer, cogiter comment les personnes accompagnées vont vivre ces moments. Je serai d’autant plus disponible et en capacité d’écouter leurs réserves et résistances, une fois que j’aurai traversé les miennes.

Alain Cartigny
alaincartigny@orange.fr

Bonjour Laurent,

Merci pour ce témoignage qui me semble apporter des réponses aux questions que je me pose en ce qui concerne une séance d’APP à distance. Avec les étudiants de l’école d’IBODE, qui sont presque tous mobilisés sur le front du COVI 19 depuis plus de 4 semaines, nous envisageons la reprise du cours de la formation (en 18 mois) à distance, à l’aide de plusieurs outils numériques. L’analyse des pratiques professionnelles fait partie intégrante de notre dispositif de formation, se posait le problème de la reprise de cette activité, avec la limite de la distance.

Comment organiser une séance à distance, en gardant la cohésion du groupe, en permettant à chacun de s’exprimer, en faisant confiance à la technologie, comment distribuer la parole, en évitant la cacophonie, en évitant l’isolement de l’un ou de l’autre, etc. Il est clair qu’une telle organisation nécessite de préciser les règles qui doivent présider à la séance, ces règles varient donc quelque peu dans leur manière de se manifester, notamment la demande de prise de parole et la distribution de celle-ci par l’animateur.

Nous allons vivre cette expérience bientôt. Ce que je peux partager d’ores et déjà, ce sont mes doutes, mes craintes et mes certitudes.

Mes certitudes se situent au niveau du besoin de faire de l’APP, surtout dans la situation de crise sanitaire actuelle. Mes élèves sont des adultes, professionnels de la santé, à priori préparés aux situations difficiles, qui ont été « sortis manu militari » du contexte de la formation pour être « versés » dans un dispositif de soin complètement improvisé et impréparé aux situations qui ont dues être vécues. La violence de ces situations, la violence du contexte, la peur de vivre des expériences de mort, de mourir, de porter la mort auprès de sa famille, nécessite à mon avis, de partager ses expériences pour prendre du recul, pour comprendre mieux, pour analyser et sans doute pour mieux faire.

Mes craintes se situent autour du dispositif que je n’ai expérimenté que dans des circonstances de réunion, d’échanges, de conversation, ainsi la distribution de la parole, l’écoute, la disponibilité, vivre les émotions, voir l’autre, les autres, sera plus difficile, peut être impossible par moment !

Mes doutes se situent autour du bienfondé de « le faire quand même », mais impossible de le savoir sans vivre cette expérience, sans l’analyser ensuite, sans en tirer des enseignements à l’issue de la séance !

Je suis donc partagé, mais résolu, tout en restant sur mes gardes afin de ne pas me faire dépasser par l’évènement et réussir à mener une séance qui permet à chacun d’être avec l’autre, d’être au service de l’autre, et ensuite de partager l’expérience.

Marie France Soubrier
mariefrance.s@dbmail.com

Bonjour Laurent,

Je viens de lire le récit que tu as eu le courage de partager au sein du réseau, sur ton engagement professionnel, via des séances d’APP à distance. Je n’ai rien à en dire parce que je salue avant tout la confiance en amont.

Je me permettrai simplement ces réflexions en vrac et sur le moment, que ton récit a certainement amenées, en espérant qu’elles soient bien adressées pour te servir.

L’analyse de situation et de pratique étant une faible part de mes activités, je la trouve toutefois toujours intéressante pour améliorer l’ensemble de ma pratique et de mes actions – je suis psychologue. En fait, comme l’ensemble de pratiques groupales que j’ai pu animer où dans lesquelles j’étais invitée à participer, c’est la part du malentendu, le décalage, le loupé, ce auquel je ne m’attendais pas avec son lot d’agréable, pas agréable, qui semble favoriser ce que je nomme la co-élaboration, de véritables nouveaux savoirs; la contrepartie étant, ce me semble, d’accepter ce qui ne sera pas saisi, la part du « je ne me l’explique pas pour le moment »  ou du « je ne comprends* pas » qui sera ressentie durant l’APP ou dans l’après coup.

* comprendre = étymologiquement, « prendre avec », induit toujours d’intégrer l’autre dans son format préétabli de penser.

Je connais cette part (surmoi ? moi idéal ? idéal du moi ?) que tu nommes le censeur ^^ et qui comme toutes les instances en chacun.e de nous, se manifestent au singulier et revêtent par l’affect qui les porte sur le moment, un rôle différent.

Autrement dit, ce/cette censeur.e qui nous empêche d’un côté, cache de l’autre peut-être ce qui veut se dire, de ce quelque chose qui nous résiste encore – et heureusement, autrement tout s’arrêterait là !

Voilà, Laurent, je m’arrête sur ces propos en espérant que la part manquante sur un autre moment sera espace de nouveaux possibles pour nos pratiques, puisque tout repose sur des représentations et des mots !

L’inconstance et l’inattendu sont le versant nécessaire aux modèles et aux cadres, afin que de cet ensemble émerge une dynamique qui tende vers la co-élaboration de nouveaux savoirs.

Pierre Cieutat
pierre.cieutat@gmail.com

J’utilise comme vous plusieurs plateformes depuis un certain temps et intensivement depuis cinq semaines. Je partage mes réflexions. Je résiste à l’APP distancielle. Cependant chaque situation est unique et je trouve légitime d’accompagner un groupe qui se connait surtout quand les membres en expriment le besoin. Ce sera différent qu’habituellement mais pas forcément moins bien. Pour la sécurité du groupe, le témoignage de Laurent me fait croire que c’est le questionnement préliminaire qui, du point de vue de l’animateur, en est le meilleur garant.

Techniquement chaque plateforme a ses spécificités. Un point mériterait selon moi une attention spécifique : c’est la question de « se voir » et, pour l’animateur, de voir le visage et le corps de l’exposant. Chaque plateforme est différente et, selon le nombre de participants, on ne voit que celui qui parle et les derniers qui ont parlé (les 4 derniers parfois plus). Ainsi, il se peut que l’animateur ne voie plus le visage de l’exposant pendant de longs moments s’il ne parle pas. C’est à prendre en compte. Personnellement cela m’insécurise en tant qu’animateur ; l’exposant « se dissout », on débat de sa situation, c’est intellectuel… Cela arrive aussi parfois en présentiel mais la corporalité de l’exposant me rappelle à lui (c’est pourquoi je fais attention à ce qu’il soit en face de moi).

Plus techniquement, Alain, dans Teams il n’y a rien de prévu pour demander la parole, un « lever la main » (comme dans Zoom). Il faudrait prévoir une modalité en début de séance (tu peux essayer avec « la conversation », ce chat qui permet d’écrire sur le côté « parole » par exemple, l’animateur voit qui a écrit « parole »).

Je me dis que tout le monde débute et cela augmente la vigilance de tous les membres du groupe ; cela a donc toutes les chances de bien se passer. Si cette modalité devient routinière à l’avenir, cela poserait des problèmes plus aigus selon moi.

Guillaume Villain
guillos@hotmail.fr

Ces échanges font échos tant sur le fonctionnement d’un APP en mode virtuel que sur cette transition imposée en télétravail et en vie-virtuelle.

Pour l’APP je suis, comme le précise aussi Laurent, un adepte peut être obtus pour ma part du présentiel et plus particulièrement pour tout ce qui n’est pas de l’ordre du visible, tous ces rien, ces mouvements, ces regards, l’atmosphère qui me semble être des indicateurs de la vie du groupe et des régulations souhaitables, ce qui chez moi me permet d’être parfois sur le fil du rasoir mais en sécurité. Est-il possible de transférer les habitudes ou les repères sensoriels de la proximité vers d’autres éléments qui informeraient su l’état psychologique des uns et des autres ?

Pour le télétravail, j’ai pu expérimenter l’organisation par l’éducation nationale dans le domaine et plus particulièrement la gestion d’une réunion professionnelle. Et là, surprise, rien ne nous échappe, encore moins puisque tous les interlocuteurs étaient visibles et audibles et donc les souffles, rires et autres communications non verbales étaient bien présents ce qui amplifie les jeux d’acteurs qui échappent parfois dans une réunion. Ce qui aurait pu être non-pris en compte dans un contexte de réunion présentielle avec une proximité humaine (une salle de réunion dans un établissement scolaire ou un lieu habituel de réunion ou de formation), devient, dans un espace virtuel « invité » dans l’intimité domestique, à savoir mon salon, exacerbé. Ici, chez moi, il n’y a pas d’espace symbolique professionnel filtrant les habituelles relations intrinsèques à l’éducation nationale. Ma question alors sera : suis-je à même de construire une bulle professionnelle dans un espace habituellement dévolu au privé ? Pour ma part il semble que le besoin d’espace dédié prenne le pas sur l’espace créé.

Donc ma question pour ceux qui pratiquent l’APP en virtuel : quels ressentis, quelles impressions retrouvez-vous et/ou découvrez-vous ?

Marc Thiébaud
marc.thiebaud@net2000.ch

Merci pour vos partages. Je viens de (re)lire les messages. Plusieurs choses résonnent pour moi et m’inspirent.

D’abord, la confiance que je peux avoir dans le groupe ; comme en présentiel, chaque personne a des ressources et est là pour s’entraider ; je peux compter dessus au cas où cela deviendrait plus difficile, on régulera les échanges à distance.

Ensuite, l’esprit d’exploration, la curiosité pour découvrir ce que peut apporter une APP à distance (beaucoup de personnes dans les groupes que j’anime sont dans cet état d’esprit d’ailleurs).

La question du sens aussi : voir si cela correspond à une demande, à un besoin, si c’est cohérent par rapport à l’histoire du groupe, au vécu collectif, à la sécurité développée… (sinon, il n’y a rien à forcer, ce n’est pas une obligation de faire de l’APP en visioconférence).

J’aimerais encore partager un bout de l’expérience faite l’an dernier sur trois séances à distance avec un groupe qui comprenait huit personnes (quatre provenant du Québec, deux de France et deux de Suisse).

Lorsque nous avons imaginé ce projet avec un collègue québécois, il était d’emblée clair, vu les distances, que nous ne pourrions pas le réaliser autrement que par visioconférence. Nous souhaitions pouvoir vivre avec un groupe chacune des démarches que nous pratiquons habituellement : pour lui, le codéveloppement professionnel et pour moi, l’analyse de pratiques (dans une orientation d’accompagnement réflexif).

La réalisation de ce projet fut riche en enseignements pour la mise en perspective de nos approches (ce sera d’ailleurs l’objet d’un numéro thématique à paraître cet été dans la revue de l’APP). Et aussi très apprenant pour faire des APP à distance.

Il y a eu toute la préparation, nécessaire pour s’accorder, pour trouver les six personnes pour faire le groupe, pour que la démarche fasse sens pour tout le monde. Également pour que le processus par étapes proposé soit connu à l’avance de tous (envoyé par envoi e-mail).

Si nous avions pris soin de bien informer chaque personne, tout le monde ne se connaissait pas, nous avons donc commencé, durant la première séance, par un moment de découverte réciproque, en procédant par un tour de parole (ce que nous avons souvent fait dans nos rencontres). Ce qui nous a d’emblée lié, c’est l’intérêt pour la démarche.

Nous avions prévu 2h30 à chaque fois, et il a toujours manqué du temps. Plusieurs raisons à cela :

  • Pour la première séance (de codéveloppement), l’exposant a été choisi préalablement (par concertation entre les quatre québécois) ; pour la deuxième (APP), il a fallu 30 minutes pour le choix en visioconférence… il m’a semblé qu’à distance, la décision est plus difficile, l’implication sans doute aussi (même si elle fut importante durant les deux séances en fin de compte… mais il y avait comme besoin de se « chauffer » en début de séance).
  • À chaque fois, il nous a fallu beaucoup communiquer pour nous comprendre : la différence culturelle était très importante, révélée par les réalités des deux exposants (milieu de travail + culture québécoise versus européenne). Cela rajoutait une distance au… travail à distance… que nous cherchions à réduire. Chacun dans le groupe était soucieux de bien comprendre l’exposant dans sa réalité professionnelle. Comme par précaution… avant de pouvoir passer à une étape de partage d’hypothèses.
  • Chaque participant avait énormément d’éclairages à apporter à chaque fois par rapport à la pratique analysée… si bien que des échanges se sont poursuivis ensuite par e-mail.

Le fait que les démarches utilisées étaient en partie nouvelles pour la plupart des participants n’a pas vraiment posé de difficultés. À chaque fois, l’animateur a veillé à expliciter le plus possible l’objectif de l’étape en cours. Ce qui a été particulièrement apprenant, ce sont les questions posées concernant le processus ; les étonnements exprimés parfois, les décalages (vu les différences d’approche et de culture) ; ainsi que les régulations qui ont été faites en concertation au sein du groupe. Si cela a demandé du temps, cela a aussi favorisé des prises de recul, des ouvertures…

En fait, nous avons travaillé souvent en « multi pistes » (en portant notre attention à la pratique analysée, à notre processus de groupe et à nos propres résonances et réflexions personnelles). La distance et la visioconférence ne l’ont pas empêché.

Nous n’avions pas forcément conscience à l’avance du nombre de défis simultanés auxquels nous allions faire face… nous les avons accueillis avec curiosité … et joie finalement… au fur et à mesure où ils se révélaient à nous. Même si en tant qu’animateur (je l’ai vécu lors de la deuxième séance), cela demande une énorme attention : à l’accompagnement de l’exposant, à la circulation de la parole, aux signes et besoins exprimés par les uns et les autres, à la clarification du processus, à la gestion du temps, etc.

Comme cela a été exprimé par plusieurs d’entre vous dans les échanges sur le réseau : j’ai été frappé lors de ces séances par la bienveillance et l’entraide présentes au sein du groupe. Il y avait beaucoup d’écoute et d’intérêt à se comprendre. J’ai observé aussi que nous avons pris le temps nécessaire pour méta-communiquer.

Il n’est bien sûr pas possible de savoir comment cela se serait passé en présentiel. Pendant les 2h30 de la troisième séance, nous avons eu un bref retour des exposants sur les deux premières analyses et nous avons échangé sur nos apprentissages. Pour chacun, l’expérience a été très positive ; singulière par rapport à une rencontre en présentiel (particulièrement au niveau de la communication et de la dynamique de groupe, moins riche) ; mais très propice pour la réflexivité (avec plutôt davantage de facilité à bénéficier chacun des temps méta que nous nous sommes accordés et à être en introspection).

Cette expérience a été vécue dans un contexte très différent de ce que nous connaissons aujourd’hui et des autres groupes que j’anime, mais elle m’a aussi bien inspiré et préparé aux défis à relever aujourd’hui…

 


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