Marc Thiébaud

Psychologue, spécialiste de l’accompagnement et de l’animation de groupe, Suisse
thiebaud[arobase]formaction.ch


Résumé

La supervision et l’analyse de pratiques se situent à l’intersection de l’accompagnement, de la formation et de la réflexion sur les vécus liés à des situations professionnelles. Elles présentent des similitudes et des différences en même temps qu’une grande variété. Comment clarifier leurs caractéristiques ? Comment les différencier ? Comment comprendre les termes utilisés et ce à quoi ils renvoient dans la pratique ? Ce texte vise à proposer quelques réflexions pour appréhender cette complexité, notamment sous l’angle des dispositifs, des objectifs visés, des logiques de travail mobilisées, des contenus privilégiés, de la terminologie, des usages ainsi que des contextes et milieux dans lesquels l’analyse de pratique et la supervision peuvent être mises en œuvre.

Mots-clés 

supervision, accompagnement, formation, réflexion, complémentarités

Catégorie d’article 

Texte de réflexion sur les pratiques

Référencement 

Thiébaud, M. (2020). Analyse de pratiques <-> supervision. Similitudes, différences : quelques réflexions pour aider à s’y repérer. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 16, pp. 81-103. http://www.analysedepratique.org/?p=3631.


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Practices analysis <-> supervision. Similarities and differences: a few thoughts to help you get your bearings
Abstract

Supervision and practices analysis are at the intersection of coaching, training and reflection on experiences related to professional situations. They present similarities and differences as well as great variety. How can their characteristics be clarified ? How can they be differentiated ? How to understand the terms used and what they refer to in practice ? This text aims to propose some reflections to apprehend this complexity, notably from the point of view of the devices, the objectives, the work logics mobilized, the privileged contents, the terminology, the uses as well as the contexts and environments in which practice analysis and supervision can be implemented.

Keywords

supervision, coaching, training, reflection, complementarities


 

 

1. Introduction

1.1 Quels liens entre analyse de pratique et supervision ?

Analyse de pratique et supervision se côtoient (ou se retrouvent côte à côte). Elles ne se connaissent cependant pas très bien. Parfois, des professionnels demandent une supervision ou… une analyse de pratiques (ils ne savent pas trop que choisir, entre l’une ou l’autre, ou ils ne sont pas toujours d’accord sur les termes). Des sites Internet, dans la promotion de ces approches, les mentionnent toutes les deux en faisant… ou en ne faisant pas de distinction entre elles. Des formations intègrent dans leur curriculum l’apprentissage à la fois de la supervision et de l’analyse de pratiques. Etc.

Ces approches cohabitent plus ou moins, quand elles n’entrent pas en rivalité, dans ce qui ressemble parfois à une lutte de territoire. Fréquemment, elles gardent leurs distances (comme par crainte d’être contaminées !). Pourtant, elles se mélangent et se confondent assez souvent. « Ce que l’un appelle « supervision » ressemble trop à ce que l’autre nomme « analyse de pratiques » (Alföldi, 2017). Il est rare qu’elles se parlent. C’est qu’il n’est pas facile de dialoguer quand son interlocutrice est difficile à identifier !

Ces constats, présentés un peu à l’emporte-pièce il est vrai, sont nourris de nombreuses observations que j’ai pu récolter au cours de ces 20 dernières années. Pendant longtemps, lorsque l’on me demandait de définir et différencier la supervision et l’analyse de pratiques, je préférais dire que cela me semblait voué à l’échec. Il n’y a pas « une » supervision ni « une » analyse de pratiques. Elles sont variées et hétérogènes, elles se chevauchent si souvent qu’il me semblait plus simple de s’en tenir à l’expérience vécue plutôt qu’à chercher à les définir.

Je me suis donc avant tout intéressé à leurs points communs (voir Thiébaud, 2003b, 2013). Ainsi par exemple, dans les formations à l’animation de groupes de supervision et d’analyse de pratiques, les participants utilisent des termes différents, souvent parce qu’ils viennent de métiers et milieux variés (psychologues, formateurs d’adultes, éducateurs, travailleurs sociaux, etc.). Je constate qu’en travaillant des points communs, chacun en tire bénéficie et peut ensuite développer consciemment l’approche et les spécificités qu’il souhaite.

Récemment, j’ai cependant été de plus en plus sollicité pour clarifier les similitudes et différences qu’il peut y avoir entre analyse de pratiques et supervision. Notamment, pour des formations qui proposent d’apprendre conjointement les deux approches. Également, lors de rencontres entre praticiens, lorsque la question se pose de préciser ce qui est plus de l’ordre de la supervision ou de l’analyse de pratiques. Parallèlement, je me suis intéressé ces dernières années aux complémentarités entre différentes démarches. Notamment entre l’APP et l’échange de pratiques (Thiébaud, 2020) et le codéveloppement professionnel (Thiébaud & Vacher, 2020). A cet effet, j’ai eu la chance de pouvoir expérimenter et communiquer à ce sujet avec différents praticiens.

C’est cette conjonction de facteurs qui m’a poussé à formuler les réflexions qui suivent concernant la supervision et l’analyse de pratiques. Je les ai écrites dans le but de suggérer quelques repères susceptibles de favoriser un dialogue.

Je commencerai par identifier les difficultés d’une telle démarche. J’énoncerai ensuite quelques points qui me paraissent plus ou moins communs aux deux approches, de manière générale. Puis je proposerai des éléments de différenciation possible et je terminerai en me situant par rapport à cette complexité. Je me référerai à mes expériences ainsi qu’à certains écrits, sans avoir mené une recherche sur le sujet (qui reste à faire à ma connaissance).

1.2 Des difficultés à s’y retrouver

Un travail de clarification des similitudes et différences entre la supervision et l’analyse de pratiques bute sur plusieurs difficultés. Elles me paraissent relever surtout de deux ordres :

  1. Il n’y a pas d’accord sur les spécificités des termes. Ceux-ci sont polysémiques. J’écrivais à ce propos en 2003 : « Un examen des diverses définitions utilisées pour décrire les pratiques existantes génère rapidement la perplexité : un même terme correspond souvent à des descriptions différentes ; à l’inverse, des dénominations différentes sont utilisées pour décrire des réalités semblables. » (Thiébaud, 2003a). Selon Castro & al. (2009) qui ont étudié les vécus en supervision d’une centaine de professionnels, « les résultats […] mettent en évidence la polysémie du terme « supervision », qui a comme intérêt de soutenir l’illusion d’un langage commun partageant les mêmes attentes et, comme limites, d’entretenir une nébuleuse sémantique. »
  2. Les pratiques sont multiples, comme le sont les définitions. Elles ont foisonné au cours des dernières décennies. Lorsque j’accueille dans un groupe de supervision des personnes qui ont eu l’occasion d’en vivre ailleurs, elles témoignent de vécus très variés. Il en est de même pour l’analyse de pratiques. Cela tient aux intervenants (superviseur ou facilitateur en analyse de pratique), aux besoins et demandes des personnes, au contrat élaboré entre eux, au contexte institutionnel, aux cadres de référence privilégiés, etc. « La dénomination « analyse des pratiques » désigne des dispositifs très variés, du point de vue de leurs finalités, des sources théoriques de référence, des méthodologies employées, des conditions de réalisation et des effets attendus. » (Lagadec, 2009).

Comment comparer des approches si elles sont perçues de manière aussi variée et si les pratiques développées présentent une hétérogénéité si importante. Que faire face à ces difficultés ? De manière générale, j’observe trois tendances principales :

  1. Certains auteurs et praticiens considèrent que la supervision et l’analyse de pratiques sont des pratiques clairement distinctes. Ils préconisent de le préciser dans le cadre posé au départ et insistent pour que leurs spécificités soient respectées du début à la fin du travail.
  1. D’autres considèrent qu’il est illusoire de vouloir marquer des différences claires et qu’il n’est pas utile de vouloir les séparer. Ainsi, Curchod-Ruedi & Doudin (2015) écrivent : « par analyse de pratiques, on entend un travail axé sur les gestes professionnels et l’aide à la théorisation de la pratique. La supervision en revanche intégrerait davantage la personne du professionnel […]. Pour notre part, nous ne nous arrêtons pas sur cette distinction, partant de l’idée que lorsque l’on aborde des thématiques comme les interactions ou les émotions à l’école, le professionnel est indissociable de la personne qui occupe la fonction. » En consultant des offres de supervision et d’analyse de pratiques sur Internet, je constate sur de nombreux sites que les deux termes sont utilisés sans être différenciés (du moins en ce qui concerne le travail en groupe ; j’y reviendrai plus loin).
  1. D’autres praticiens et auteurs estiment qu’il y a un certain chevauchement entre supervision et analyse de pratiques. Ainsi, pour eux, il est intéressant d’identifier leurs points communs, ne serait-ce que pour pouvoir les différencier d’autres formes d’intervention (échange de pratiques, groupe de parole, accompagnement de projet, etc.) Ils soulignent également qu’il y a des différences, mais que celles-ci varient selon les pratiques, qui sont hétérogènes, tant en supervision qu’en analyse de pratiques.

De mon point de vue, il importe de reconnaître cette diversité ainsi que la confusion que cela peut engendrer et de se donner des repères pour parler de ces multiples représentations, vécus et réalités. Ceci permet notamment de dialoguer et de se concerter, dans les milieux et avec les personnes avec lesquels on travaille. Il me paraît ainsi intéressant de développer ma capacité à me situer, par rapport aux demandes d’analyse de pratiques et de supervision que je reçois, sans dogmatisme mais dans une perspective de clarification et de prise en compte de l’intersubjectivité inhérente à ces démarches. J’y reviendrai dans la quatrième partie.

Je présenterai ainsi successivement quelques points communs et quelques éléments de différenciation entre analyse de pratique et supervision. Ils n’ont rien d’exhaustif. Ils sont à considérer comme des indications pour explorer la complexité et la dynamique de ces pratiques et non comme des déterminations ou des lignes de démarcation figées.

2. Quelques éléments plus ou moins communs à la supervision et à l’analyse de pratiques

J’évoquerai successivement quatre éléments : 1) les finalités des deux approches ; 2) leur démarche de base ; 3) les configurations dans lesquels elles sont mises en œuvre ; 4) les référentiels mobilisés.

2.1 Des finalités semblables

La supervision et l’analyse de pratiques ont pour finalités le développement des compétences et de l’identité professionnelles ainsi que la compréhension et l’évolution de l’agir professionnel (dans le sens d’un accroissement de qualité et d’autonomie). Dans les deux approches, il peut y avoir une dominante, l’importance relative de l’une ou l’autre de ces finalités peut varier. Mais de manière générale, visées constructive et productive sont liées. En voici des exemples.

Pour ce qui est de la supervision :

Selon l’Association romande des superviseurs (ARS, 2010), « elle offre la possibilité de réfléchir sur le fonctionnement professionnel afin d’en mieux gérer les exigences. […] Elle vise le développement professionnel et personnel. […] Elle aide à développer la lucidité et la prise de distance afin de mieux gérer les situations complexes. ». Pour Castro & al. (2009), c’est « un dispositif de formation professionnalisante [… qui] vise à améliorer la qualité de l’acte professionnel. »

En ce qui concerne l’analyse de pratiques :

Selon Alföldi (2017), elle vise « l’amélioration de l’action professionnelle ». Pour Perrenoud (2001), c’est une « démarche collective d’aide au changement personnel [… qui permet de] mieux maîtriser sa vie personnelle ou professionnelle, d’être plus adéquat, plus à l’aise, plus au clair ou plus ouvert ». Selon le rapport du GFR (2005) qui a étudié quatre dispositifs d’analyse de pratiques, il y a « une visée commune aux quatre dispositifs : celle d’une dynamique de transformation, d’évolution pour aller vers un meilleur vécu professionnel et une posture réflexive, en analysant en profondeur ce vécu ».

En résumé

Si l’on considère ces finalités selon les deux axes d’un graphique, pour simplifier, on observe que l’espace est plus ou moins occupé de manière semblable dans les deux approches (avec dans chacune, des pratiques qui peuvent privilégier l’une ou l’autre finalité).


Fig. 1 Finalités semblables de la supervision et de l’analyse de pratiques

2.2 Une démarche qui valorise l’apprentissage expérientiel et relève généralement de l’accompagnement

L’apprentissage expérientiel

En lien avec la visée de développement de compétences, la supervision comme l’analyse de pratiques ne suivent pas un programme de formation mais elles activent un cycle dynamique d’apprentissage expérientiel dans lequel les vécus sont conscientisés et verbalisés et peuvent être modélisés pour l’expérimentation de nouvelles actions (Kolb, 1984). Les réflexions sont élaborées en lien avec des situations professionnelles concrètes. Pour Vermersch (2004), l’analyse de pratiques et la supervision « pointent vers un processus identique […]: prendre conscience de son vécu passé pour le reconnaître, se l’approprier, s’en servir comme base de connaissance pour perfectionner ses gestes professionnels ». Selon Altet (2000), « l’analyse de pratiques est une démarche et un lieu d’articulation pratique-théorie-pratique : elle part toujours de pratiques vécues ». Pour l’ARS (2010), « la supervision favorise l’intégration de l’expérience et l’assimilation des apports théoriques. Elle est un processus s’appuyant sur la réflexion ».

L’accompagnement

Dans la majorité des cas (je reviendrai sur les exceptions), la supervision et l’analyse de pratiques s’inscrivent dans une logique d’accompagnement, qui mobilise les ressources des personnes. Pour Blanchard-Laville & Nadot (2004), « ce que les praticiens apprennent dans les groupes d’analyse de pratiques se situe du côté du recouvrement de leur acte/pouvoir. Le travail coopératif et de co-élaboration du sens des situations apportées qui s’instaure dans le groupe, à l’exclusion de tout acte d’autorité qui dirait ce qu’il aurait fallu faire dans tel ou tel cas, va dans ce sens. » Selon Devienne (20010, « l’espace de supervision est un espace spécifique d’accompagnement. »

Il est nécessaire cependant de clarifier le sens de ce terme qui peut prêter à confusion. Il est en effet devenu un mot valise, une « nébuleuse » selon l’expression de Paul (2003). Des auteurs comme Le Bouëdec & al. (2001), Vial & Caparros-Mencacci (2007) et Paul (2016) ont proposé plusieurs repères pour s’orienter dans la complexité de l’accompagnement. J’en retiendrai quatre éléments principaux (développés dans Thiébaud, 2018) :

  • La relation. Elle est asymétrique, construite avec la complémentarité des compétences de chacun, inscrite dans la reconnaissance de la subjectivité et de la singularité de l’expérience. Paul (2009, p. 95) part de la sémantique du verbe accompagner : ac-cum-pagnis, ac (vers), cum (avec), pagnis (pain) pour souligner qu’il « s’agit de se joindre à quelqu’un (dimension relationnelle) pour aller où il va […] en même temps que lui. » La qualité de la relation, de l’écoute et de la confiance est centrale dans l’accompagnement.
  • La posture. Il s’agit de mobiliser les ressources de l’accompagné et de soutenir son développement. L’accompagnement est « une forme particulière d’étayage, à distinguer du guidage » (Vial et Caparros-Mencacci, 2007). Celui qui accompagne est second, c’est-à-dire « suivant » (et «non suiveur ») selon Paul (2009, p. 96). Pour autant, il ne s’efface pas, il fait tiers dans la relation que l’accompagné a avec sa pratique, ses valeurs et le réel.
  • Le cheminement. Le processus d’accompagnement est co-construit, émergent, il ne peut pas être programmé. Si l’accompagnant l’oriente à un moment ou un autre par ses questions et ses réflexions, il le fait à partir d’une écoute, dans le cours de la relation et le respect de l’évolution de l’accompagné, et non selon une trajectoire prédéfinie.
  • L’éthique. Il s’agit d’une éthique de l’altérité, de la rencontre, qui renvoie à des valeurs partagées d’ouverture, de bienveillance, de respect. L’accompagnement s’inscrit dans une réciprocité : l’accompagnant n’est pas dans la maîtrise, il se questionne, il est réceptif à ce qui peut l’affecter et le modifier dans la relation comme à ce qu’exprime et vit l’accompagné. Il s’expose à l’imprévu et au doute, il s’ouvre aux incertitudes et à la diversité des possibles.

De manière générale, qui dit accompagnement dit prise en compte et analyse des demandes de l’accompagné. Dans cette perspective d’accompagnement formateur, la supervision comme l’analyse de pratiques se contractualisent avec les bénéficiaires (et souvent, selon les contextes, et notamment dans le cadre d’une formation, avec l’institution mandataire). C’est dans le processus de contractualisation et de mise en place de la démarche que vont se définir plus précisément entre autres les objectifs spécifiques visés, les modalités de travail mobilisées ainsi que les rôles et responsabilités des uns et des autres. Ceux-ci peuvent varier, j’y reviendrai dans la troisième partie.

En résumé

Les similitudes sont grandes au niveau des principes : apprentissage expérientiel, travail de questionnement, réflexion, élucidation sur des vécus, reconnaissance de la subjectivité, posture d’accompagnement au service de la mobilisation des ressources de la personne, etc. Également en ce qui concerne les aspects éthiques de la démarche : éthique de l’altérité, de l’émancipation, du développement de l’autonomie et du pouvoir d’agir de la personne.

Remarque

La posture du superviseur comme celle du facilitateur en analyse de pratiques peut s’éloigner parfois de l’accompagnement. Ainsi, en supervision, on trouve dans certains cas un rôle de contrôle, visant à assurer la qualité des prestations effectuées par les professionnels supervisés (une logique, héritée des débuts de la supervision, qui renvoie au terme anglais « supervisor » associé à l’idée de surveillance). Chez l’animateur d’analyse de pratiques, on observe parfois un rôle de formateur – expert chargé de transmettre (voire de vérifier des savoirs). De même, le superviseur peut avoir aussi un rôle didacticien. Dans ces cas, c’est une posture de « guidance » et non d’accompagnement qui est mise en œuvre (voir Vial, 2007 et Vial & Caparros-Mencacci, 2007). « Que le superviseur enseigne au groupe ce qu’il convient de faire ou ne pas faire, et nous ne serons plus dans un mécanisme de supervision, mais au mieux dans un temps de formation. Et s’il pactise avec la désignation d’analyse des pratiques, il risque fort de devenir à son corps défendant un évaluateur. » (Rouzel, 2017). Ce risque peut se retrouver dans les deux approches. Il concerne cependant une minorité de cas, en analyse de pratiques en supervision comme (même si certains auteurs et praticiens ont tendance à pointer des différences à ce niveau, qui peuvent prendre la forme de critiques réciproques).

2.3 Des configurations variées en analyse de pratiques comme en supervision

De manière générale, tant la supervision que l’analyse de pratiques peuvent se déployer selon quatre configurations principales, présentées dans le tableau ci-après.


Figure 2. Quatre configurations en supervision et en analyse de pratiques

L’analyse de pratique s’est peu développée sous la forme d’entretien individuel mais beaucoup dans une configuration en groupe, avec la mise en œuvre de multiples dispositifs plus ou moins formalisés. Le terme de supervision d’équipe est particulièrement répandu. Il est plus rare que l’on parle d’analyse des pratiques d’une équipe. On retrouve dans les deux approches la distinction entre travail en groupe ou en équipe et travail d’équipe. Dans ce dernier, c’est le collectif qui est objet d’analyse, ce qui peut conduire par exemple à une régulation d’équipe.

Lorsqu’un travail en équipe est mené, avec des membres œuvrant dans la même entité ou institution qui apportent chacun leurs vécus propres pour la réflexion en commun, les distinctions sont plus délicates à faire dans les faits. Les réalités du collectif doivent en effet également être prises en compte. « En présentant des situations de travail qui leur posent question, les professionnels ne traitent pas seulement des représentations qu’ils ont de ces situations, mais directement des problèmes rencontrés par les membres d’un groupe « réel » ou « naturel », c’est-à-dire inscrits dans un contexte institutionnel déterminé » (Fablet, 2004).

En ce qui concerne la durée, le nombre et la fréquence des rencontres, toutes les formules existent. Si parfois, le travail en supervision est considéré comme plus intensif et nécessitant par conséquent des séances plus régulières et plus nombreuses (voire un travail en plus petit groupe), ce n’est cependant pas systématiquement le cas. Cela dépend entre autres du contexte (voir ci-après 3.2)

En résumé

De manière générale, la supervision et l’analyse de pratiques peuvent s’exercer dans des configurations similaires. Celles-ci n’ont cependant pas toutes été développées au même degré par les deux approches.

Remarque

Un travail personnel, d’autosupervision (Balta, 2017) ou d’analyse de pratiques personnelle, peut également être mentionné, comme une configuration particulière

2.4 Référentiels mobilisés

Que ce soit dans l’une ou l’autre approche, on retrouve deux cas de figure principaux :

  1. un référentiel privilégié est utilisé ; il peut être déjà partagé par les participants ou il peut être apporté par l’intervenant ; Marcel & al. distinguent à cet égard différents paradigmes possibles : historico-culturel, psychanalytique, cognitiviste, socio constructiviste, systémique, etc. ;
  2. le travail se développe dans une optique de multi référentialité ; il tend à mobiliser une pluralité de cadres de référence actuels des participants ;

Si le référentiel psychanalytique a été par le passé davantage utilisé, c’est moins le cas de nos jours et la perspective multi référentielle est davantage adoptée. Il est clair que les référentiels utilisés sont en lien avec les objectifs visés et les objets de travail privilégiés. Ainsi par exemple, dans un groupe qui mobilise des ressources de la psychanalyse, ce sont davantage les aspects relationnels – transférentiels qui seront élaborés. J’y reviendrai dans la troisième partie. Ceci est valable tant pour la supervision que pour l’analyse de pratiques.

En résumé

On n’observe pas de différence particulière dans la manière dont les deux approches mobilisent les référentiels, mais on peut constater une grande variabilité à l’intérieur de chacune d’elles.

3. Quelques éléments de différenciation

Dans cette partie également, je m’attacherai essentiellement à mettre en exergue quelques éléments saillants, qui ne seront pas exhaustifs. J’évoquerai tout d’abord brièvement 1) les origines des deux approches, 2) leur utilisation dans différents contextes et milieux ainsi que 3) des aspects de terminologie. J’aborderai ensuite d’autres éléments pour lesquels je chercherai à identifier des lignes de force susceptibles de différencier les approches, en rappelant que la réalité des pratiques s’inscrit dans un continuum. C’est avec des nuances que je présenterai donc des spécificités de chaque approche concernant : 4) ce qui est mis en travail, 5) les objectifs qui tendent à être privilégiés, 6) les formes de travail mobilisées, 7) les compétences et 8) la position du superviseur ou du facilitateur en analyse de pratiques.

3.1 Origines de la supervision et de l’analyse de pratiques

Il sort du cadre de cet article d’étudier le développement historique des deux approches. Je soulignerai seulement les influences différentes qu’elles ont connues.

La supervision

Les origines de la supervision peuvent être trouvées en particulier dans deux sources :

  1. l’émergence de la psychanalyse au début du siècle dernier ; elle a été formulé dès 1925 le principe de la supervision (initialement dénommée « analyse de contrôle) ;
  2. le développement après la seconde guerre mondiale du casework (étude de cas ou travail social individualisé dans les pays anglo-saxons).

Dans les années 1950, un médecin psychanalyste, Balint (1960) intègre des aspects de ces approches pour proposer les groupes qui portent son nom. Ceux-ci permettent aux médecins d’analyser leurs relations avec leurs patients et de mobiliser leurs ressources. Dans la deuxième partie du XXe siècle, les pratiques se sont diversifiées et ont intégré des approches de conseil, de développement social et de la systémique notamment.

L’analyse de pratiques

Trois influences ont été déterminantes dans l’histoire de l’analyse de pratiques :

  1. la démarche d’orientation psychanalytique des groupes Balint ; elle a été importée dans les années 1970 en France par Levine dans le domaine de la formation des enseignants (Levine & Moll, 2000) ; elle a ensuite été développée par Blanchard-Laville (Blanchard-Laville & Fablet, 2000) sous le terme d’analyse de pratiques professionnelles ;
  2. les apports des groupes d’approfondissement professionnel (GAP) proposés à la même époque par de Peretti ; ils s’inscrivent dans la suite des travaux de Rogers (1968) ; cette approche reçoit un fort soutien de l’éducation nationale en France et ouvre vers une perspective multi référentielle ;
  3. les démarches de recherche-action, dans la foulée des travaux de K. Lewin, qui stimulent le développement de l’approche réflexive (voir Schön & Argyris, 2002 ; Vacher, 2015).

Vers la fin du XXe siècle, de multiples dispositifs voient le jour, qui intègrent différentes démarches d’orientation notamment socio-constructiviste et systémique.

En résumé

La supervision a été initiée antérieurement à l’analyse de pratiques, à partir du développement de la psychanalyse. Les deux approches se sont ensuite largement diversifiées.

3.2 Contextes et milieux

On observe d’importantes différences dans l’utilisation des appellations d’un milieu à l’autre, sans que cela signifie nécessairement que les pratiques soient fondamentalement différentes. Cela semble être une réalité à la fois historique et culturelle. Par exemple, la supervision s’est développée en particulier dans le monde médical alors que l’analyse de pratiques a été popularisée notamment par des intervenants dans le milieu de l’éducation. Il apparaît ainsi logique que les psychiatres demandent de la supervision alors que les professionnels des établissements scolaires recherchent des espaces d’analyse de pratiques.

On retrouve des différences aussi dans l’utilisation des termes d’un pays à l’autre. Par exemple, au Québec, les groupes d’analyse de pratiques n’existent pratiquement pas, même si on trouve des dispositifs proches (atelier réflexif, groupe de codéveloppement professionnel). Supervision et analyse de pratiques n’y sont souvent pas clairement différenciées. En témoignent les propos de Villeneuve et Berteau cités dans Lebbe-Berrier, 2007) : « la supervision est un processus continu d’échange qui permet l’élaboration d’une analyse réflexive autour d’un objet de travail ». Également la définition suivante : « La supervision est un processus de réflexion interactif, continue et formel entre un superviseur et un supervisé portant sur l’analyse de la pratique de ce dernier. » (OTSTCFQ, 2009, p.6).

Cela renvoie par ailleurs aux approches adoptées selon le contexte. Par exemple, dans les associations professionnelles, le terme de supervision est le plus souvent utilisé. Dans le cadre de formations certifiantes, les pratiques sont plus diverses : selon les métiers, les étudiants doivent accréditer des heures de supervision (en psychologie, en travail social) ou des heures d’analyse de pratiques (en soins infirmiers ou dans l’enseignement). En formation continue, le terme de supervision tendrait à être davantage utilisé. En formation initiale, ce serait plutôt l’analyse de pratiques.

Un autre aspect lié aux usages concerne l’utilisation quasi systématique de l’appellation « supervision » par les animateurs d’analyse de pratiques et les superviseurs pour parler d’un espace de recul « méta » et de travail réflexif sur leur posture et leurs interventions. On pourrait s’attendre à ce que les animateurs d’analyse de pratiques se rencontrent en « groupe d’analyse de pratiques ». On retrouve d’ailleurs la même expression chez les coachs qui parlent de supervision de coachs (plutôt que de coaching pour coachs). Pour une part, il semble que l’expression « supervision » soit reconnue comme une expression « consacrée » lorsqu’il s’agit d’avoir un espace tiers et de développer un regard « méta » en tant que superviseur, animateur d’analyse de pratiques ou coach (cette reconnaissance paraît liée au développement historique de la supervision). Pour une autre part, cela peut s’expliquer par l’empan plus large de la supervision, qui ouvre davantage de formes de travail possibles, comme nous le verrons dans le point 3.5. Par exemple, les intervenants rechercheront dans un tel espace la possibilité d’expérimenter de nouvelles formes de travail en groupe, de mobiliser de nouvelles méthodes, etc.

En résumé

Les usages existants dans divers contextes conduisent à privilégier l’une ou l’autre approche.

3.3 Les termes : « supervision », « analyse » et « pratiques professionnelles »

Il est clair que les termes ont des significations différentes (voir figure ci-après).

Ces différents termes ne s’excluent cependant pas. Dans une supervision, il y a place et invitation à analyser les pratiques des personnes supervisées. Pour citer Lebbe–Berrier (2007), « la supervision inclut l’analyse des pratiques professionnelles à toutes les étapes […]. Espace d’analyse des résonances relationnelles, elle permet de soutenir l’acteur par une réassurance professionnelle. » Et en ce qui concerne l’analyse de pratiques, elle rejoint à cet égard la supervision dans la mesure où elle cherche à développer une vision « méta » en offrant un espace d’élaboration à cet effet.

Fig. 3  Différences de terminologie entre les deux approches

Une question se pose : qui développe cette vision « au-dessus » ? Est-ce le superviseur qui apporte son expertise (comme cela pourrait être le cas dans une logique de contrôle) ? Ou est-ce que la vision « méta » élaborée est le fruit de la relation, ou du travail collectif. De manière similaire : qui analyse la pratique ? L’animateur ? Ou les membres du groupe ?

Les réponses peuvent varier. Dans une logique d’accompagnement qui prévaut généralement, c’est la deuxième option qui est à retenir, pour les deux approches.

En résumé

Les différences terminologiques peuvent être clairement établies. Au-delà de ces différences, cependant, en supervision comme en analyse de pratiques, il s’agit d’aider à développer la capacité de questionnement, de prise de recul, d’élargissement des regards.

3.4 Ce qui est mis en travail dans la supervision et dans l’analyse de pratiques

De nombreux auteurs et praticiens font ici une différence assez significative. Pour eux, celle-ci se situerait au niveau de l’empan couvert par chaque approche sur le continuum d’implication personnelle figuré ci-après.

Fig. 4  Ce qui est travaillé en supervision et en analyse de pratiques

Cette façon de voir doit cependant être nuancée. Les différences sont souvent davantage liées au cadre de référence mobilisé (psychosociologie, analyse réflexive, psychanalyse, etc.). On observe une grande hétérogénéité dans les pratiques. Parfois, les réflexions portent avant tout sur les situations, la manière dont elles sont travaillées et dont elles affectent le professionnel. Dans d’autres cas, le champ est plus large, notamment dans les approches dites cliniques. Par ailleurs, la démarche peut cibler plus ou moins en amont les objets de travail ou non.

« Supervision, analyse de pratiques, les deux approches visent l’une et l’autre la mise au travail de l’implication professionnelle » (Alföldi, 2017). Il importe en effet de rappeler que la pratique est singulière, subjective, propre à chaque acteur. Il ne s’agit pas d’analyser l’activité (qui peut être formalisée) ou le travail.

En résumé

Si la supervision a souvent un empan plus large, en travaillant davantage sur la personne supervisée, cette différence est toute relative. Les deux approches prennent en considération les affects, les valeurs, l’identité du professionnel. En supervision comme en analyse de pratiques, il y a par ailleurs une limite à marquer par rapport à un travail de développement psychologique ou thérapeutique.

Remarque

En supervision d’équipe, les objets de travail privilégiés peuvent être encore différents et concerner autant les relations collectives que par exemple le fonctionnement de l’équipe ou l’organisation des rôles.

3.5 Objectifs visés

En analyse de pratiques comme en supervision, de nombreux objectifs peuvent être poursuivis. Ceci complique la réflexion sur les différences possibles à ce niveau. De manière générale, dans la continuité du point précédent et des similitudes identifiées dans le point 2.1, les objectifs des deux approches se rejoignent sur bien des aspects. Il s’agit toujours d’un processus de réflexion approfondie sur le vécu professionnel intégrant la dimension cognitive et émotionnelle. Il est possible cependant de souligner certaines tendances, même si elles ne sont pas systématiques.

Fig. 5  Objectifs visés : tendances dans les deux approches

La réalité est cependant complexe. Ces deux tendances se retrouvent aussi à l’intérieur de chaque approche. Par exemple, dans une analyse de pratiques qui mobilise un cadre clinique d’orientation psychanalytique, « le praticien découvre par lui-même et pour lui-même, à son rythme, ce qui se passe dans sa pratique à ce niveau-là des interactions psychiques ; il opère des prises de conscience sur ce qui l’agit à son insu » (Blanchard-Laville & Nadot, 2004). Dans un cadre de référence plus cognitiviste, il développera davantage sa compréhension de ses schèmes de représentation en lien avec une situation professionnelle.

Parfois, la place et l’importance accordée à certains objectifs peuvent émerger dans le cours des séances, notamment en fonction des besoins exprimés par les personnes. D’autres fois ils peuvent être contractualisés en amont. Ainsi, certains intervenants privilégient des objectifs bien déterminés, par exemple, l’exploration des phénomènes de transfert dans les relations ou le développement de la capacité réflexive.

3.6 Modalités de travail

En ce qui concerne les formes de travail développées dans les deux approches, celles-ci sont généralement plus ouvertes en supervision qu’en analyse de pratiques. Cela ne signifie pas qu’elles sont nécessairement restreintes en analyse de pratiques, mais les modalités sont souvent plus structurées, voire formalisées. Il faut souligner ici encore l’importante hétérogénéité dans les pratiques. Quelques tendances peuvent ici aussi être mises en évidence.


Fig. 6  Modalités de travail : tendances dans les deux approches

En analyse de pratiques, dans le travail en groupe, de nombreux dispositifs ont été développés, qui structurent assez fortement le déroulement (Marcel & al., 2002 ; Beckers & al., 2013 ; Viollet, 2013). C’est aussi le cas en individuel (voir par exemple l’entretien d’explicitation). En supervision, les méthodes et modalités de travail utilisées sont plus souples et le travail en groupe peut être amorcé à partir de nombreuses portes d’entrée.

En résumé

Globalement, les formes de travail sont moins structurées au départ et plus libres et diversifiées d’une séance à l’autre en supervision. Cette différence me semble assez marquée.

Remarque

Dans l’accompagnement d’équipe, les observations et les expérimentations au niveau du fonctionnement collectif ouvrent de nombreuses possibilités et portes d’entrée. Comme cela a été évoqué, on observe plus souvent cette configuration de travail sous l’appellation de supervision, ce qui corrobore le constat que celle-ci mobilise des modalités plus variées.

3.7 Compétences du superviseur ou du facilitateur en analyse de pratiques

Il est assez courant de voir des formateurs d’adultes animer un groupe d’analyse de pratiques sans formation spécifique… alors que c’est rarement le cas pour des supervisions. Les formations en supervision incluent généralement un travail sur soi et des séances de supervision (pas nécessairement dans la formation d’animateurs d’analyse de pratiques). Par ailleurs, elles développent systématiquement à la fois des compétences de supervision individuelle, en groupe et d’équipe… ce qui implique un travail plus long et complexe.

Il sort du cadre de cette réflexion d’étudier et de comparer en détail les compétences attendues des superviseurs et des animateurs d’analyse de pratiques, telles qu’elles peuvent être établies par les associations ou les organismes de formation. On retrouve cependant de nombreux points communs. Notamment tout ce qui concerne la mise en place de la démarche, la facilitation du processus, la communication, le développement de la posture, la dynamique de groupe, le travail réflexif, les aspects éthiques, les enjeux institutionnels, etc. Indépendamment de l’étude qui peut être intégrée ou non d’un référentiel (psychanalytique, systémique, ou autres) et de méthodes particulières (jeu de rôle par exemple).

Par ailleurs, la question se pose de savoir si le superviseur ou l’animateur d’analyse de pratiques doit connaître le travail et avoir lui-même acquis les savoirs professionnels des personnes accompagnées. Le plus souvent, il est admis que ce n’est pas une nécessité. Si cela peut être une plus-value parfois, cela peut aussi entraîner l’intervenant vers une posture de guidance qui n’est pas souhaitable. Son expertise doit se situer au niveau des processus de développement professionnel, des relations, du rapport à soi, etc. A cet égard, la supervision et l’analyse de pratiques ne se différencient guère.

3.8 Position du superviseur ou du facilitateur en analyse de pratiques

Il est généralement admis qu’un superviseur doit être en position d’extériorité et qu’il ne peut pas avoir de liens professionnels avec les supervisés. Cette exigence va notamment dans le sens de favoriser un travail personnel. En analyse de pratiques, cela peut varier selon les intervenants et les contextes, même si cette position d’extériorité est jugée préférable. Une position interne pose de nombreuses difficultés (voir Allenbach, 2017 ; Rugo Graber, 2017).

Par ailleurs, dans certaines démarches d’analyse de pratiques, l’animateur peut être issu du groupe, on parle alors d’analyse de pratiques entre pairs (l’animation peut être tournante et elle est généralement soutenue par une formation). Dans les groupes de supervision, c’est rarement le cas (même si on parle parfois, par analogie, d’intervision pour un travail entre pairs, mais il ne s’agit plus de supervision).

4. Vers une approche sur mesure

Les éléments présentés dans les deux parties précédentes esquissent la complexité des pratiques évoquées. Ils mettent en évidence qu’il est illusoire de vouloir réduire ces approches dans une définition ou dans une démarche précisément circonscrite. En ce qui me concerne, ils me servent à travailler explicitement les processus d’analyse des demandes et de contractualisation (de supervision ou d’analyse de pratiques). Avant de conclure, j’en présenterai une synthèse dans cette perspective.

Dans la mise en place d’une intervention, je cherche à concerter la démarche en partant des représentations et demandes de tous les acteurs concernés. Je m’appuie sur la mobilisation conjointe des ressources des personnes accompagnées et des miennes propres. Il en résulte un projet sur mesure : le contrat peut faire référence à de l’accompagnement, à de la supervision, à de d’analyse de pratiques… ou autres. Un tel processus de co-construction se distingue de la diffusion d’une prestation que j’aurais prédéfinie (à laquelle il s’agirait d’intéresser des participants potentiels). Il se différencie aussi de l’acceptation d’une commande (que me ferait une institution) à laquelle je répondrais sans avoir pris part à son élaboration. Si j’interviens dans le contexte d’une formation ou d’un perfectionnement, il s’agira d’élaborer une forme de travail qui soit en cohérence à la fois avec l’espace offert par le cadre institutionnel et avec les attentes des participants.

Dans le cours de la démarche, il importe par ailleurs de pouvoir réguler avec les acteurs concernés afin d’apprécier et de mettre en place les éventuels ajustements requis. Ce qui nécessite de prévoir les canaux de communication nécessaires. Une telle perspective requiert de pouvoir à la fois anticiper et être ouvert à l’émergence. De clarifier des processus de travail tout en étant ouvert à les revisiter au besoin. Et d’être attentif en permanence à son implication personnelle et à sa relation, en tant qu’intervenant, avec les personnes et le collectif accompagnés.

Le tableau ci-après résume des points et questions clés dans ce processus de concertation.


Fig. 7 Quelques éléments pour la mise en place d’une démarche

5. Pour conclure

Si l’hétérogénéité des pratiques de supervision comme d’analyse de pratiques est importante et si certaines d’entre elles peuvent prendre parfois des formes exceptionnelles, il est possible de dégager, de manière générale, quelques lignes de force. Notamment, en ce qui concerne des points communs : les finalités, la démarche (d’accompagnement formateur), les configurations de mise en œuvre (individuel, en groupe, d’équipe) et les référentiels, variables, qui peuvent être mobilisés – ou non – dans l’une et l’autre approche.

Au niveau des différences, plusieurs éléments ont été identifiés en rapport avec les origines de chaque approche, leur terminologie et leur utilisation dans divers milieux et contextes. D’autres distinctions ont été aussi évoquées relativement à leur mise en œuvre, qui indiquent certaines tendances (relatives, on l’a vu). Celles-ci concernent notamment : ce qui est mis en travail, les objectifs qui tendent à être privilégiés, les formes de travail mobilisées, les compétences et la position du superviseur ou du facilitateur en analyse de pratiques. Ces éléments sont susceptibles d’aider l’intervenant à clarifier avec les personnes accompagnées les représentations et la démarche à contractualiser en lien avec leurs demandes.

Si les deux approches présentent une grande diversité, il apparaît bénéfique, plutôt qu’opposer les pratiques, de les apposer et de mettre en avant la richesse qu’elles offrent. Face à cette complexité, il importe pour moi de travailler dans une éthique et une transparence propices à la supervision et à l’analyse de pratiques. Ce qui implique d’expliciter, au-delà des mots utilisés, ce qui est au cœur de l’approche développée. Également d’être au clair sur ses propres ressources et limites ; et de se situer ainsi et en fonction des demandes. Quand est-il préférable de réduire l’empan des possibles et de cibler les objectifs visés ? Et quand – et jusqu’où – peut-il être bénéfique de travailler dans une plus grande ouverture et flexibilité ?.

Je me suis intéressé ici à la supervision et à l’analyse de pratiques. Elles gagneraient aussi à être mises en perspective avec de nombreuses approches voisines telles que, en vrac : le coaching, le mentorat, le tutorat, l’action formation (action learning), l’atelier réflexif, le codéveloppement professionnel. Ou encore, dans des logiques un peu plus éloignées, les communautés de pratique, les groupes de parole, l’échange de pratiques, l’intervision, etc. Certains partages développés dans ce but existent d’ailleurs déjà (voir Thiébaud, 2020 ; Thiébaud & Vacher, 2020).

Une réjouissante perspective de futurs dialogues !

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