Nora Muller

Enseignante, Suisse
nora.mueller[arobase]fr.educanet2.ch

Laurence Thiébaud

Enseignante, Suisse
laurence.thiebaud[arobase]rpn.ch

Résumé

Cet article, se base sur une double recherche menée auprès d’anciens participants à la formation « Accompagnement individuel et collectif : coaching et analyse de pratiques professionnelles » et met en évidence la présence et l’importance de l’analyse de pratiques professionnelles (APP) à deux niveaux de la formation : pour la construction identitaire des participants ainsi que pour le développement de leurs pratiques d’accompagnement, une fois la formation achevée. Ainsi, nous nous intéresserons tout d’abord à la manière dont l’APP permet aux participants de construire leur nouvelle identité professionnelle d’accompagnants, puis au rôle que joue l’APP dans le processus de mise en place et de développement des pratiques d’accompagnement des participants dans leur environnement professionnel, une fois la formation achevée.

Mots-clés 

identité professionnelle, formation, pratiques, capabilités

Catégorie d’article 

Travail de recherche

Référencement 

Muller, N. et Thiébaud, L. (2019). APP, identité et pratiques : deux recherches autour d’une formation en accompagnement individuel et collectif. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, No 15, pp. 49-59. http://www.analysedepratique.org/?p=3351.


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APP, identity and practices : two researches around a training in individual and collective guidance
Abstract

This article is relying on a double research involving former participants in an « Individual and collective guidance : coaching and professional practices analysis » training and highlights the presence and importance of professional practice analysis (PPA) in two levels of training : for the identity building of the participants and for the developement of their guidance techniques, once the trainings has been done. So, we will focus first on the way that PPA allows  participants to build their new guidance professionnal identity, then to the role played by PPA in the process of setting up and developing of the guiding practices of the participants in their professional sphere, once the training completed.

Keywords

professional identity, practices, training, capabilities


 

1. Un dispositif, deux recherches

Cet article se base sur une double recherche menée de manière collaborative entre la Haute École Pédagogique (HEP) Vaud et l’Université de Fribourg. Cette recherche s’inscrit dans le cadre de deux travaux de mémoire de Master en Sciences de l’éducation et a été initiée par les formateurs du Diploma of Advanced Studies (DAS) « Accompagnement individuel et collectif » de la HEP Vaud. Le but premier de ces recherches était de recueillir des informations sur la formation, ainsi que sur « l’après-formation » auprès des anciens participants.

Concrètement, le dispositif de recherche que nous avons élaboré comprend trois phases : une étape d’entretiens exploratoires auprès de deux anciens participants au DAS, un questionnaire envoyé à l’ensemble des participants ayant achevé la formation et une série d’entretiens biographiques, réalisés également auprès d’anciens participants. Les résultats présentés sont issus uniquement de la dernière étape du processus de recherche, davantage compréhensive.

Les thèmes de recherche que nous avons décidé d’explorer dans le cadre de nos travaux de mémoire sont également ceux qui structurent cet article : la dynamique identitaire à l’œuvre durant et après la formation du DAS et le processus de développement de pratiques d’accompagnement pendant et après la formation. Cependant, pour les besoins de cet article, l’axe de présentation choisi est celui de l’analyse de pratiques professionnelles (APP), en lien avec nos thèmes de recherche. C’est pourquoi nous ne traiterons pas ici de nos questions de recherche, mais bien du lien existant entre ces dernières et l’APP. Cependant, le fil rouge de l’article suit la méthode utilisée pour l’analyse de nos données, et la structure choisie est donc proche de celle de nos travaux de mémoire. Ainsi, pour le thème de l’identité, trois axes sont analysés et présentés : a) le rôle de l’APP sur la construction de l’identité professionnelle ; b) l’APP durant la formation, un moyen de construire l’identité professionnelle (IP) ; c) l’APP après la formation, un moyen de développer et d’enrichir l’IP.

Au niveau du développement des pratiques professionnelles, les données recueillies grâce au dispositif ont été traitées par analyse catégorielle de contenu, à l’aide d’un modèle issu des sciences de l’éducation, qui sera présenté plus bas, et qui comprend cinq dimensions. De cette manière, bien que nos questions de recherche ne soient pas traitées directement ici, elles influencent et soutiennent en grande partie nos propos.

2. APP et dynamique identitaire

Le premier travail de recherche mené dans le cadre de ce dispositif a pour objet la construction de l’identité professionnelle chez les anciens participants au DAS. Il s’intéresse particulièrement à la mise en évidence des conditions permettant la construction identitaire. Certaines de ces conditions sont reliées directement ou indirectement à la formation du DAS, d’autres sont issues de milieux et environnements divers. Nous nous intéressons dans le présent article à toutes les conditions reliées spécifiquement à l’APP et faisons le parallèle entre les données recueillies lors des entretiens biographiques et les éléments théoriques rattachés aux liens entre APP et dynamiques identitaires.

2.1 Le rôle de l’APP dans la construction de l’identité professionnelle

Le domaine de la construction de l’identité professionnelle en formation est largement documenté dans la littérature concernant la formation des adultes. Dans notre travail, nous avons pu constater que de nombreux auteurs mettent en évidence des liens entre la dynamique identitaire, les rapports subsistants entre participant et formation ainsi qu’entre les représentations de cette formation. Certains dispositifs et certaines conditions mis en place en formation facilitent et favorisent la construction de l’IP (Bourgeois, 1996, Kaddouri, 2002). Sans entrer dans les détails théoriques, ces deux auteurs repèrent des stratégies identitaires chez les participants et les relient à cinq rapports à la formation. La figure ci-après, issue de la recherche menée par Kaddouri en 2006, elle-même issue de diverses recherches conduites par Barbier (1996), met en évidence les différentes relations à la formation et les liens correspondants.

 

Figure 1. Les rapports à la formation et leur lien avec la dynamique identitaire
(Kaddouri, 2006, p.142)

Nous constatons au travers de cette figure que selon le rapport à la formation que possède le participant, les stratégies identitaires se construisent différemment. Par conséquent, il est primordial de prendre en compte ces éléments et de développer au sein de la formation des espaces protégés qui encouragent les participants à réaliser un travail identitaire afin de leur permettre de cheminer vers une identité professionnelle incluant des nouvelles dimensions professionnelles et correspondant à leur besoin. Parmi les dispositifs facilitant cette construction de l’IP, figure l’APP. En effet, selon Faingold (2004), l’analyse de pratique encourage la construction de l’IP ainsi que le développement de la posture professionnelle. D’autres auteurs tels que Blanchard-Laville et Fablet (1999) ou Fablet (2013) rejoignent ce point de vue. Pour eux, l’APP permettrait de développer des compétences nécessaires à la pratique (compréhension et décision en cours d’action par exemple), d’améliorer les capacités de compréhension, d’autocritique ainsi que l’adaptation à autrui et à un contexte professionnel particulier. Ces éléments étant aussi pour ces auteurs des composantes de l’IP, leur construction serait en conséquence l’une des finalités principales de l’APP.

De plus, la distanciation et la prise de conscience des pratiques en situation de travail permettent aux participants de comprendre certains enjeux et tensions identitaires qui se jouent en eux. En parallèle, la pratique régulière d’APP au sein même d’une formation permet de tisser des liens forts entre les participants soutien, échanges, confrontations de perspectives, lien avec « d’autres significatifs ». Nous développerons cet aspect dans la suite de l’article. L’appartenance à une catégorie socio-professionnelle commune, l’échange d’expériences ainsi que le partage de valeurs professionnelles favorisent le développement de l’identité professionnelle ainsi que le sentiment de reconnaissance chez les participants.

Les résultats des analyses menées dans le cadre de notre travail mettent en évidence une influence très marquée de l’APP sur l’identité professionnelle. Au travers de nos résultats, nous constatons en effet que l’APP détient un rôle clé dans le développement des compétences et par conséquent, de la construction de l’identité professionnelle aussi bien durant qu’après la formation. Dans la plupart des cas analysés, les participants continuent dans l’accompagnement et l’APP, ce qui leur permet d’être continuellement stimulés et de poursuivre leur questionnement identitaire bien au-delà du temps de formation. L’APP est clairement une condition permettant le développement identitaire : il s’agit même de la condition la plus fréquemment citée dans les analyses des entretiens biographiques, ce qui prouve sa fonction centrale dans l’accompagnement et dans la dynamique identitaire qui y est reliée.

2.2 L’APP durant la formation, un moyen de construire l’IP

L’APP favorise un travail identitaire intensif chez les participants comme le mettent en évidence Rebetez et Thiébaud (2019) ainsi que Gemmiti, Mounerat, Roch et Weber (2019) dans leurs articles de ce même numéro. L’APP, pour autant qu’elle ait lieu dans un environnement protégé où les participants ont la possibilité d’échanger et de se soutenir mutuellement, favorise l’acquisition de compétences en accompagnement telles que la capacité de repérer les ressources et les besoins des personnes accompagnées.

Elle favorise également le développement de nombreuses qualités attendues d’un accompagnant ou d’un coach, notamment l’ouverture, la bienveillance, le non-jugement, tout en permettant aux participants de se construire en parallèle une représentation personnelle de l’identité au travers des expériences vécues sous les différents angles d’approche. Les résultats de nos analyses d’entretiens biographiques montrent que de nombreux participants attachent une grande importance à l’APP. L’un des participants interrogés nous dit avoir beaucoup apprécié l’APP organisée de manière à « permettre une certaine ouverture, une souplesse et une possibilité de percevoir les activités sous un regard plus axé sur la diversité et la variabilité des pratiques ». Un autre participant nous parle de son ressenti vécu lors de ces « aquariums » (terme employé pour parler de certaines séances d’APP vécues durant la formation) : « quand je dis que c’est exigeant, c’est que lorsqu’on faisait des aquariums où on est en train d’accompagner une personne du groupe, et que les autres nous regardent, et après qu’il y a un commentaire critique de la part de nos collègues et de la part des formateurs bien sûr, ça a été la plupart du temps assez bouleversant pour tout le monde. Voilà pourquoi je l’estime exigeante, et en même temps c’est celle qui m’a le plus amené, que ça soit dans ma pratique professionnelle, ou dans ma pratique privée ». L’APP a provoqué chez ce participant des tensions identitaires (il parle de bouleversement) et lui a ainsi permis de progresser dans sa pratique professionnelle et privée. Ces deux extraits témoignent de l’impact positif de l’APP sur la construction de l’IP des participants durant la formation.

Nous avons expliqué dans la partie précédente que l’analyse de pratique contribue au renforcement des liens entre participants. Ces liens sont bénéfiques pour la construction de l’identité professionnelle des participants. En effet, les « autres significatifs » (personnes  de l’environnement proche qui exercent une influence sur le processus de reconnaissance et de représentation de soi) détiennent un rôle clé dans le processus de construction de l’identité. Certains participants y attachent plus d’importance que d’autres, mais dans beaucoup de cas analysés, les « autres significatifs » sont cités comme ressource et comme condition ayant permis une évolution de l’IP. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que ces « autres significatifs » sont la plupart du temps les anciens collègues du DAS.

Nous constatons au travers de ces témoignages que beaucoup de participants ont vécu des moments très intenses lors de l’APP, moments leur ayant permis non seulement de transférer plus facilement les apprentissages réalisés, mais également de soulever un questionnement profond sur la posture que doit adopter un accompagnant et sur la représentation de l’accompagnant pour la personne accompagnée. Le discours d’un des participants illustre bien ces propos lorsqu’il dit que « l’outil principal du coach, c’est le coach lui-même ». Un autre participant met en évidence l’importance de d’abord « être » avant de « faire et puis d’avoir », d’où l’importance du questionnement identitaire. Certains participants sont conscients des effets de l’APP sur la construction de l’identité professionnelle.  Une participante nous dit avoir eu « de nombreuses discussions, mais ponctuelles qui m’ont permis de faire des démarches pour reconstruire une identité justement professionnelle » lors de l’APP. Le discours de cette participante indique un lien positif entre l’APP et la construction de l’IP.

De ce fait, nous faisons l’hypothèse que sans la mise en place d’APP, la construction de l’identité se ferait plus difficilement. Les relations entre les participants se construiraient également différemment : les liens entre eux seraient probablement moins forts. Si les liens tissés en formation sont faibles, alors les chances de garder contact avec les participants après la formation sont également faibles. Or, le contact et les liens sociaux avec les pairs du même milieu professionnel sont primordiaux pour le développement de l’identité professionnelle après la formation. Il est donc judicieux de veiller à ce qu’un climat propice à l’échange, à l’entraide et à la collaboration se mette en place durant la formation : les groupes formés pour l’APP contribuent notamment à la construction d’un tel climat.

2.3 L’APP après la formation, un moyen de développer et d’enrichir l’IP

Les résultats des entretiens biographiques menés avec les différents participants nous indiquent qu’une grande majorité d’entre eux continuent, après la formation, de pratiquer l’accompagnement et l’APP. Malgré le fait qu’une partie d’entre eux ait terminé la formation il y a plus de cinq ans, ils gardent pour la plupart des liens forts avec d’anciens participants, souvent ceux de leur groupe de formation d’APP. Certains sont également en contact avec l’un ou l’autre de leurs anciens formateurs. Ces participants ont mis en place ou participent à des ateliers d’analyse de pratique régulièrement, ce qui leur permet d’évoluer en termes d’identité professionnelle au travers des « autres significatifs » avec qui ils partagent certaines valeurs et échangent sur des pratiques communes, mais aussi d’être confrontés à d’autres manières de procéder. Les participants sont ainsi amenés à se questionner et à redéfinir d’une part des traits identitaires communs aux autres participants et d’autre part à affirmer et personnaliser leur propre style d’accompagnement.

De plus, le fait d’être stimulé de manière continue grâce à l’APP leur permet d’éviter de tomber dans un processus professionnel routinier et de maintenir certaines tensions identitaires nécessaires à la construction et à l’évolution de l’IP. A ce propos, un participant évoque que cette démarche lui a permis de gagner en confiance et d’être davantage à l’aise pour mener des APP. De nombreux participants nous expliquent avoir cherché dans la formation du DAS un moyen d’échapper à la monotonie notamment de l’enseignement. La poursuite de l’analyse de pratique s’inscrit dans la même logique. Un participant nous dit justement : « J’ai pas abandonné l’accompagnement, je fais toujours de la supervision. […] Du coup j’ai l’impression que je peux arriver à maintenir aussi un peu une, je sais pas comment on dit, un niveau intellectuel, enfin quoi, rester attentif à des choses, et pas se laisser ronronner, et se dire « oui oui c’est bon je sais faire de l’accompagnement », ça remet aussi un peu en question quoi ».

3. APP et développement de pratiques d’accompagnement

Le second travail de recherche mené dans le cadre du dispositif décrit ci-dessus a pour thème le processus de développement de pratiques d’accompagnement par les anciens participants au DAS. Pour comprendre ce processus, nous nous sommes basés sur le modèle de l’approche par les capabilités de Fernagu-Oudet (2012), lui-même inspiré de l’approche développée par Amartya Sen, présentée par Kuklys (2005).

Ce modèle, qui est à comprendre comme un processus se déroulant de manière relativement linéaire, (dans la figure 2, partant de la gauche vers la droite), propose de considérer toute réalisation concrète (mise en place de pratiques d’accompagnement, notamment) comme le résultat d’un processus de rencontre entre des ressources (savoirs, savoir-faire, savoir-être, savoir-devenir, mais aussi personnes-ressources, par exemple) et des facteurs de conversion, c’est-à-dire des événements « catalyseurs » ouvrant des opportunités de réalisation. Ces opportunités sont nommées « capabilités » dans le modèle, car elles signifient que la personne est « capable de » au sens pragmatique du terme, elle a la possibilité concrète de faire quelque chose. Entre les « capabilités » et les « réalisations concrètes » se déroule encore une étape de décision, nécessaire à la concrétisation.

Ainsi, ce sont les composantes principales de ce modèle qui ont été utilisées dans nos analyses, et qui représentent les catégories utilisées dans les analyses, à savoir les ressources internes et externes des participants, les facteurs de conversion agissant sur leur parcours, les capabilités qui se sont offertes à eux suite à la formation, les décisions qu’ils ont prises et les réalisations concrètes qu’ils ont pu mettre en place. Dans le cadre de cet article, il est intéressant de se demander où se place l’APP et quel rôle cet outil peut jouer dans le cadre de développement de pratiques d’accompagnement.


Figure 2. L’approche par les capabilités (d’après Fernagu-Oudet, 2012, p.205)

3.1 L’APP comme ressource

Le modèle de l’approche par les capabilités distingue deux types de ressources : internes et externes. L’APP, pour les participants à la formation, peut se retrouver dans les deux types de ressources. Dans les ressources internes c’est-à-dire les savoirs, les savoir-faire, les savoir-être et les savoir-devenir, l’APP est présente partout, et ceci en grande partie grâce à la formation du DAS. Les participants disent avoir acquis en formation à la fois les « règles » de fonctionnement de l’APP, les gestes liés à son animation, la posture adéquate, mais aussi la capacité réflexive véhiculée à travers l’APP. Voici ce qu’un participant nous livre par rapport aux savoir-être liés à l’APP et développés durant la formation, qui représentent une ressource pour sa pratique de l’accompagnement : « J’ai envie d’être quelqu’un d’ouvert, quelqu’un à l’écoute, quelqu’un qui est dans le non-jugement, dans une posture qui investigue et qui va pas dire ce qui est juste et ce qui est faux justement. Pouvoir mener la personne à l’autonomie, développer sa réflexivité. Ne pas entretenir une relation de dépendance. Accueillir ». L’APP symbolise donc pour les participants une ressource interne, sur laquelle ils peuvent s’appuyer au quotidien de leur pratique. Par exemple, au niveau du cadre : « Et puis la formation parallèlement, elle m’apportait tous les aspects, poser le cadre, pas dire c’est confidentiel, tout cet aspect-là, le temps, vérifier le lieu, je sais pas, tous ces aspects un peu de cadre, donc j’ai pu commencer avec la sensation de pas usurper ma place. Ce qui était bien quoi ».

Dans les ressources externes, l’APP est présente pour les personnes qui continuent de la pratiquer en tant que participants, par exemple dans le cadre de supervision ou d’intervision : « Et puis, justement, la supervision est très importante pour moi, parce que j’adore réfléchir justement à ma pratique, et puis la remettre en question, et essayer d’être au plus proche de mes aspirations, de cette description-là quoi ». Il est toutefois important de préciser qu’une séance de supervision ou d’intervision n’est pas forcément une APP. Tout dépend si le cadre posé correspond à celui d’une APP (écoute, non-jugement, analyse d’une pratique, recherche de compréhension, notamment).

3.2 L’APP comme facteur de conversion

Il arrive également qu’une séance d’APP joue le rôle de facteur de conversion, lorsque ce qui est travaillé dans le groupe résonne de manière particulière chez un participant et entraîne une envie de changement, de mouvement : « Les miroirs. Dans un certain nombre d’échanges que j’ai pu avoir avec d’autres étudiants (…) Et puis avec le cadre posé au départ, qui  s’est construit et validé par la suite, de bienveillance et de non-jugement, ça a permis dans certaines relations de vraiment pouvoir être soi-même, de pouvoir parler de ses doutes, de voir l’autre parler de ses doutes, de voir l’autre cheminer, d’entendre les autres prendre de décisions, ou de parler de décisions importantes qu’ils avaient prises pour leur vie. Et puis voilà, par effet miroir, écho, résonance, je pense que c’est les concepts, de se dire « et moi là-dedans ? ». Et voilà, donc ça fait forcément cheminer… ».

3.3 L’APP comme capabilité

Pour certains participants, l’animation d’APP s’est également présentée comme une capabilité c’est-à-dire une possibilité de pratique qui s’est offerte au cours de leur parcours. Dans ce cas, il leur appartient de concrétiser ou non cette possibilité, en fonction de leurs envies professionnelles. Voici deux extraits dans lesquels un participant reçoit une proposition d’animation d’APP et qui mettent en lumière cette nouvelle capabilité : « En même temps un autre établissement m’a demandé si je pouvais être – ils ont pas dit avec le terme accompagnement – […] je sais pas si on m’avait dit coacher ou guider, je sais pas quoi – le groupe des maîtresses d’appui, d’un autre établissement. ». « Donc en fait on nous a demandé, […], ça a été une demande un peu implicite de mettre en place une analyse de pratiques professionnelles ». Ici, l’APP se présente donc comme une opportunité professionnelle pour ces participants.

3.4 L’APP comme facteur de décision

Il est aussi intéressant de se demander si l’APP peut jouer le rôle de facteur de décision, et orienter ainsi le développement des pratiques d’un participant. Dans les données que nous avons recueillies, ce cas ne s’est pas présenté, cependant il est tout-à-fait possible d’imaginer que les contenus d’une séance d’APP puissent apporter une aide à la prise de décision. En effet, puisque, le principe à la base de l’APP est l’accompagnement multiple par un collectif, à différents niveaux, de manière à problématiser/analyser certaines situations, il est fort possible que des pistes d’action, et donc des pistes de décision, ressortent de telles séances.

3.5 L’APP comme réalisation concrète

Enfin, dans les réalisations concrètes, plusieurs participants disent avoir l’occasion d’animer des séances d’APP, au sein de différents contextes. Voici un témoignage, dans lequel l’APP est une des pratiques développées par le participant : « Je fais de l‘accompagnement collectif, dans le collectif il y a l’analyse de pratiques professionnelles, il y a le partage d’expériences et puis aussi des ateliers thématiques, qui sortent du terrain, enfin si on voit qu’il y a des besoins, eh ben on va proposer un atelier thématique. Aussi des accompagnements de groupe, enfin je veux dire d’équipe, pour la construction d’équipe, ça on fait pas mal cette année aussi ». Un autre exemple montre que l’APP est devenue un projet commun à plusieurs établissements : « Et puis ce qui s’est mis par la suite en place, bon moi je le faisais déjà, c’est que j’ai proposé des ateliers APP aussi en fait dans les trois établissements ». Finalement, un dernier exemple où l’APP fait partie de la globalité de la fonction du participant, selon les demandes : « … avec ces deux périodes je fais un groupe d’analyse de pratique de qui veut. Mais voilà, il y a eu 10 personnes, sur environ 100 enseignants, qui sont inscrits. Ce que je trouvais déjà joli comme démarrage ».

4. Pour conclure…

À travers ces quelques lignes, nous avons ainsi pu mettre en évidence, une fois encore, la richesse de l’outil APP, qui s’inscrit de manière transversale dans la pratique quotidienne des personnes que nous avons interrogées et qui avaient participé au DAS.

L’APP joue donc un rôle important pour ces personnes, en tant que participants, animateurs, apprenants ou professionnels. Nous avons pu montrer l’importance de cette pratique dans la construction de l’identité professionnelle des participants, qui deviennent, durant la formation, des accompagnants, puis dans le développement et l’enrichissement de cette nouvelle identité professionnelle. Dans un deuxième temps, nous avons abordé la question de la place de l’APP dans le développement des pratiques d’accompagnement des participants, après la formation. Ici, nous avons pu mettre en évidence que l’APP est à la fois un type de pratique mis en place par les nouveaux accompagnants, par exemple lors de la conduite de groupes, mais également une ressource pour ces derniers, grâce à la part importante de réflexivité présente dans la pratique de l’APP. C’est un dispositif qui permet aux participants de réfléchir à leurs pratiques et aux possibilités qui s’offrent à eux, que nous proposons, à l’aide du modèle de Fernagu-Oudet (2012) de nommer « capabilités », c’est-à-dire des opportunités de réalisations concrètes dans un milieu donné, à un moment donné.

Bien que les deux recherches aient été menées en parallèle, il est évident que de nombreux liens existent entre ces thématiques. L’identité professionnelle des participants joue un rôle important dans le développement de leurs pratiques d’accompagnement, notamment au niveau des facteurs de conversion et des facteurs de décision, mais également des ressources internes de ces derniers. De la même manière, les pratiques développées par un participant, ou les capabilités qui s’offrent à lui, façonnent son identité d’accompagnant. Grâce aux espaces d’échange et de réflexion qu’offre l’APP, les liens entre identité et pratiques peuvent être thématisés et renforcés, afin d’accompagner la personne dans son développement personnel et professionnel.

Références bibliographiques

Barbier, J.-M. (1996). De l’usage de la notion d’identité en recherche, notamment dans le domaine de la formation. Éducation permanente, 128, 11-26.

Blanchard-Laville, C. et Fablet, D. (dir.). (1999), Développer l’analyse des pratiques professionnelles dans le champ des interventions socio-éducatives. Paris : L’Harmattan.

Bourgeois, E (1996). Identité et apprentissage. Éducation permanente, 128, 27-35.

Faingold, N. (2004). Explicitation, décryptage du sens, enjeux identitaires. Éducation permanente,160, 81-98.

Fablet, D. (2013). Professionnalisation des intervenants sociaux et analyse des pratiques. Vie sociale, 1(1), 195-202. doi:10.3917/vsoc.131.0195.

Fernagu Oudet S. (2012). Favoriser un environnement « capacitant » dans les organisations. Dans E. Bourgeois et M. Durand (dir.), Former par le travail. pp. 201-213. Paris : PUF.

Gemmiti, L., Mounerat, M-C., Roch, C. et Weber, S. (2019). Témoignages autour de la formation à l’accompagnement et à l’analyse de pratiques professionnelles. In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 15, 31-48. Récupéré de http://www.analysedepratique.org/?p=3349.

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Kaddouri, M. (2006). Dynamiques identitaires et rapports à la formation. Dans J.-M. Barbier, E. Bourgeois, M. Kaddouri, et G. de Villers, G. (dir.), Constructions identitaires et mobilisation des sujets en formation (pp. 135-152). Paris : L’Harmattan.

Kuklys, W. (2005). Amartya Sen’s Capability Approach. Berlin, Allemagne : Springer.

Rebetez, F. et Thiébaud, M. (2019). Formation « accompagnement individuel et collectif ; coaching et analyse de pratiques professionnelles ». In Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, 15, 12-30. Récupéré de http://www.analysedepratique.org/?p=3345.

 


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